G. DUYCK
A LA RECHERCHE DU LIEN
Nordine est un patient âgé de 35 ans, en placement doffice
depuis le début de la semaine pour une décompensation psychotique
aiguë. LH.O. fait suite à une crise clastique où
Nordine a détruit sa chambre au foyer, et a tenté de mettre
le feu au bâtiment.
Il intègre lunité, où je travaille, un vendredi
soir, lunité de son admission fermant le week-end.
Nordine est suivi sur notre secteur depuis 18ans, pour une psychose chronique.
Ces épisodes de violence se produisent dans un contexte où
le patient interrompt son traitement et où les idées délirantes
sont très présentes. A son arrivée ce vendredi soir,
les symptômes psychotiques ont régressé et Nordine
a pu retrouver ses repères dans linstitution.
Nouvellement embauché, je ne le connais pas et mapprête
à laccueillir, la veille dun week-end où je
vais être responsable du service. Lunité comprend 26
lits dadultes, et je travaillerai avec un intérimaire.
Nordine est bien connu de léquipe soignante. Mes collègues
plus anciens me « rassurent ». Ils le décrivent comme
un patient très en difficulté, « agréable »
le plus souvent mais potentiellement très violent. Cest vrai
: une collègue porte sur son front la marque dune cigarette
quil lui a appliquée. On évoque également sa
consommation de drogues, cocaïne, qui est à lorigine
de nombreux vols et nécessite de fréquents rappels du cadre
de soin.
Les relations sont difficiles surtout avec les femmes, puis avec le collègue
untel et il se persécuterait vite. Un portrait suffisamment inquiétant,
qui me fait prendre demblée une certaine distance à
son égard.
Cependant Nordine arrive avec une prescription quotidienne de pansements.
Il sest brûlé à plusieurs endroits, les plaies
sont nombreuses et profondes. Un lourd protocole y est associé
et malgré mes réticences, les soins sont à effectuer.
Ils se dérouleront dans la salle de soins de lunité.
Nordine est visiblement inquiet par ses blessures, il minterroge
sur les soins, il a mal et il a peur dune infection. Difficile dentrer
en relation : le stress du service, les histoires sur lui sont présentes
en moi. Je parle peu, répondant techniquement à ses questions,
je décide de me consacrer au soin. Si je débutais en secteur
psychiatrique, javais travaillé suffisamment longtemps en
soins généraux pour maîtriser le pansement à
faire. Je suis rassuré par rapport au soin à effectuer.
Face à son inquiétude quant aux plaies, je suis calme et
mapplique sur mes gestes. Mon anxiété face à
ce patient est atténuée par mon attention réelle,
défensive, à faire lacte, je me sens protégé
par des protocoles clairs. Au fur et à mesure jimpose mes
connaissances techniques, insistant sur les gestes, Nordine semble plus
serein. Les regards séchangent calmement, la confiance sinstalle
? Si nous sommes là cest bien pour le soigner, et je suis
infirmier dans un hôpital. Un cadre de soin acceptable par tous
les deux se crée. Il nous permet dêtre plus à
laise et les mots séchangent plus librement, je
« maîtrisais » le sujet de sa brûlure plus facilement
que celui de sa souffrance psychique. Aussi je me permets de le conseiller,
et je lui donne un peu de pommade réparatrice à mettre chaque
jour.
A travers ce soin nous avons pu nous rencontrer, une forme de respect
sest établie sur nos rôles. Il midentifie depuis
comme un soignant de léquipe et moi comme un patient de mon
unité. A lui, le patient inquiétant, jai pris le temps
de lui parler, de répondre à des questions précises
concernant ses douleurs. Cest le début dun lien soignant.
SILENCE ON RECONSTRUIT
M.F. est un patient âgé de 50ans, admis en placement dOffice
sur linitiative de son médecin traitant dans notre service,
pour un syndrome dépressif majeur. M.F. vivait depuis 2 ans reclus
dans sa chambre dun foyer Sonacotra. Depuis plusieurs mois, il ne
sortait plus, les détritus et immondices sempilaient et la
vermine sétait installée.
A son arrivée lhygiène est déplorable, on parle
dincurie majeure : des croûtes épaisses d
1cm sétalent du haut des cuisses aux pieds, conséquence
dune absence dhygiène depuis plusieurs mois, années...M.F.
présente une surcharge pondérale, 150kg, des ulcères
variqueux, une BPCO, un DNID, hypertension, insuffisance cardiaque, asthme,
apnée du sommeil
Ces pathologies, non traitées depuis
2 ans, limitent considérablement ses déplacements.
M.F. refuse lhospitalisation en psychiatrie, est en colère,
son médecin lui avait parlé de lhôpital général.
Il se sent "trompé".
Bien que la souffrance psychique de MF soit évidente, la dépression
ne se parle pas M.F est réticent et reste opposé à
lhospitalisation. Le tableau somatique est prédominant et
lobjectif des premiers soins est de l'aider à se rétablir
physiquement.
Du fait de son peu de mobilité, un accompagnement à la toilette
est mis en place. D'importants soins somatiques sont prescrits, régime,
traitements pour les maladies chroniques, le sommeil. Pour ses jambes
sont indiqués des soins quotidiens.
Chaque jour ces soins sont organisés et mobilisent deux infirmiers
qui appliquent sur les jambes de M. F. de la pommade puis des bandages
adaptés. M. F. accepte ces soins. Une infirmière note quelques
jours après le début de son hospitalisation : "M.F.est
très en relation lors des soins, plaisante avec les soignants "
il faut venir à l'hôpital pour avoir une belle coupe de cheveux
!" et parle de son histoire : il dit quil na pas su demander
de laide à temps au foyer, il avait honte. Il pense quil
na pas à déranger les gens et que son comportement
était suicidaire. Il dit être content des soins puisquil
a du mal à aller vers les autres et avoir toujours évité
la relation pour anticiper la douleur dun lien qui viendrait à
se rompre.
Parallèlement à cela, M. F s'isole beaucoup, reste dans
sa chambre. Les entretiens avec le psychiatre sont pauvres : M.F. est
peu loquace. Il se montre à nous sans pouvoir faire de demande.
Il dit " Je suis ici pour ma jambe et après je me casse. Cest
du passé, cela ne vous regarde pas ».
De manière évidente, le lien passe en priorité par
les soins somatiques, M. F. se laisse apprivoiser et aborde quelque peu
son histoire et sa souffrance. Les soins somatiques qui lui ont été
prodigués ont permis une restauration physique remarquable, il
retrouve la mobilité. Il peut se montrer à présent
aux autres patients, accepte l'échange, la honte de son aspect
semble peu à peu s'effacer, M.F. retrouve confiance dans son personnage
social. Un début de reconstruction psychique s'amorce.
Tout au long de l'hospitalisation, à chaque fois qu'un soin se
termine, il décompense une autre pathologie nécessitant
un nouveau soin somatique.
A travers ces vignettes cliniques, 3 dimensions du soin somatique en
psychiatrie, concernant la fonction infirmière sont abordées
:
Prises de sang, de constantes, pansements, perfusions
Soins, qualifiés
de généraux, ils participent à l'accueil. Ils sont
connus des patients, ils rassurent. Il s'agit de soins individuels où
l'on peut se laisser porter par un professionnel, où l'on trouve
aussi une écoute et une réponse à ce qui peut être
un premier symptôme. Par sa technique, sa rigueur, le soignant met
à l'aise le patient. Il lui offre un espace réservé
à la guérison de ses plaies. Le respect des conditions d'asepsie,
l'écoute de sa douleur physique, la mise en place de soins identiques
pour tous, lui rappelle son humanité et la valeur de son corps.
Souvent, chez les patients qui sont dans la non-relation, le soin physique
est une modalité d'approche pour l'infirmier, reconnu et accepté
dans cette fonction, y compris par le patient psychotique. Dans les chambres
d'isolement, si les entretiens sont souvent difficiles, le soin somatique
est plus facilement accepté,dans une fonction élémentaire
du soin. S'il peut aussi être persécutoire pour les patients
en proie à une angoisse de morcellement majeure, il est très
rare que les infirmiers soient rejetés dans cette fonction là.
Au contact de Nordine, patient difficile, violent, inquiétant,
la seule possibilité d'approche a été le soin de
ses brûlures, dans un geste technique maîtrisé par
l'infirmier. Il est plus facile d'évoquer ces symptômes physiques
et de soigner d'abord ce corps marqué, abîmé, agressé
par la souffrance psychique. Ainsi la parole s'engage, autour de questions
qu'il se pose et auxquelles je peux répondre, rassuré à
mon tour.
D'autre part, il peut être, comme dans le cas de M.F., intriqué
au soin psychique. Le soin et l'accompagnement physique permettent la
restauration psychique et la renarcissisation. La rencontre avec le patient
n'a pu passer que par ce biais là, comme c'est souvent le cas pour
les patients alcooliques très délabrés physiquement
ou les psychotiques au long cours, dont l'incurie est repoussante. L'angoisse
des patients se répercute souvent au niveau du corps, les douleurs
engendrées viennent alors renforcer le repli. La relation verbale
et l'élaboration sont souvent limitées, tandis que l'accompagnement
au quotidien, l'étayage sont mieux acceptés, comme une attention
particulière. Etre lavé, touché, "réparé"
permet d'être à nouveau "regardé", considéré.
Des soins somatiques techniques après une brûlure, une coupure
sont des temps de réparation du corps.
Enfin, il semble que dans plusieurs hôpitaux psychiatriques, le
soin somatique soit organisé, au niveau médical, par des
médecins somaticiens extérieurs à l'unité
de psychiatrie. Chez nous, à St JD, il existe un DMP où
les patients des unités sont reçus par un PH en médecine
interne et deux internes de médecin générale. ) Un
bilan somatique est réalisé dans les 24h. Ce bilan a pour
objectif dévaluer létat de santé général
du patient à son arrivée. Il comprend un examen somatique
: pouls, tension, auscultation de la respiration, de létat
des dents, un bilan sanguin : NFS, Iono.
Les prescriptions sont faites au DMP, de manière totalement séparée
des prescriptions du psychiatre. Les fonctions du psychiatre et du somaticien
sont clairement identifiées et séparées.
Lexamen effectué par un médecin nappartenant
pas à léquipe va sintéresser principalement
aux symptômes décrits ou visibles chez le patient. Il pourra
apporter un sens à des maux ressentis par le patient. En apportant
des remèdes à ces maux il permet de diminuer langoisse
de créer un autre lien thérapeutique. Même si leffet
est placébo. La douleur physique, quelle que soit la pathologie
mentale sous jacente, désorganise et affecte la capacité
de penser. L'apaisement de la douleur permet l'accès au psychisme
dans un second temps.
Souvent, le psychiatre ne sait même pas ce que le patient a comme
traitement et/ou bilan somatique...Alors que l'infirmier est dépositaire
des deux prescriptions. Il donne les deux types de soins. Il est à
l'articulation du soin psychique et du soin physique. En effet, le soin
somatique est confié à l'équipe infirmière
et le soin psychique est confié à l'équipe pluridisciplinaire
de l'unité. Comment assurer cette articulation ?
Souvent, elle est trop difficile pour un seul individu. Les fonctions
seront alors réparties, dans la mesure du possible, entre les différents
infirmiers : il y a ceux qui vont aux entretiens, ceux qui font les accompagnements
et ceux qui assurent les soins somatiques. Mais à l'hôpital
psychiatrique, les moyens humains et techniques sont souvent restreints
et quand on est en relève, on assure "le tout". Pour
cela, les infirmiers ont besoin d'être soutenus par l'ensemble de
l'équipe pluridisciplinaire.
En effet, la relation verbale et l'élaboration sont souvent limitées.
Alors, soins somatiques et psychiques inextricables et IDE indispensable ???
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Guillaume. DUYCK
Infirmier Diplômé dEtat
unité lOrangerie, CH St Jean de Dieu,
290, route de Vienne, 69008 Lyon.
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