J-P. BOYER
Ce sujet concerne des "accidents" :
- accident dans la vie d'un adolescent, une hospitalisation
vient interrompre le cours de sa vie normale,
- accident dans la vie du Service car on sait combien
ce type de prise en charge est difficile, sollicite le cadre et la cohérence
de l'équipe.
Situons, à travers quelques chiffres, le problème. En 1998
un adolescent sur dix était hospitalisé dans l'année.
Mais plus de 50% des hospitalisations étaient motivées par
des traumatismes, des affections chirurgicales ou des maladies somatiques
chroniques pour les garçons. Et plus de 50% par des problèmes
gynéco-obstétricaux pour les jeunes filles.
Si l'on considère l'ensemble des urgences pour les adolescents
:
- dans 10% des cas, il s'agit de tentatives de suicide
hospitalisées pour :
40% en pédiatrie, 10% en psychiatrie, 50% dans les différentes
spécialités.
- 5% concernent des pathologies étiquetées
"problèmes psychiatriques" dont 40% sont soignés
ailleurs qu'en psychiatrie.
DEFINITIONS :
1) Le dictionnaire (Hachette) donne comme définition pour "adolescent"
: " âge compris entre la puberté et l'âge
adulte ". Ceci dit, cette définition, dans sa simplicité,
peut être utile.
On retiendra qu'il est souvent question des 12-18 ans et, dans d'autres
publications des 13-19 ans.
Si l'on considère la puberté : elle a lieu de 8 à
13 ans pour les filles te 9 à 14 ans pour les garçons. On
va relever que la puberté et l'adolescence sont deux phénomènes
différents mais complémentaires. La puberté est précédée
par des phénomènes biologiques qui vont entraîner
des modifications du corps et des modifications sexuelles.
On peut considérer que la puberté interrompt le processus
infantile et marque l'entrée dans l'adolescence. L'adolescent,
confronté aux changements de son corps, va se découvrir
comme étrange, voire étranger. L'adolescent est obligé
de s'adapter (la puberté est un phénomène imposé,
obligatoire).
La problématique de l'adolescent va être centrée sur
le corps, sur son développement et sur son image.
Enfin, on évoquera les conduites toxicomaniaques en développement
ces dernières années, que ce soit à travers des consommations
massives de haschich ou des produits de synthèse type ecstasy.
On se permettra ainsi de citer Charles Melman dans son Introduction à
la nouvelle économie psychique (" L'Homme sans gravité ")
" nous passons d'une culture fondée sur le refoulement
du désir et donc la névrose, à une autre qui commande
la libre expression et prône la perversion. La " santé
mentale " relève ainsi aujourd'hui d'une harmonie, non
plus avec l'Idéal mais avec un objet de satisfaction. La tâche
psychique s'en trouve grandement soulagée, et la responsabilité
du sujet effacée par une régulation purement organique. "
Certains prônent la reconnaissance d'une "clinique de l'adolescent",
une clinique au sens d'un regroupement de symptômes et de syndromes
mais clinique également au sens d'unité d'hospitalisation.
De toute façon, les prises en charge des adolescentts balaient
toujours :
- la problématique du corps et le travail sur l'image
(besoin à cette période de la vie de recherche de conseils)
- la crainte d'être différent des autres.
PRISES EN CHARGES
On peut ainsi retrouver quelques règles de bonne pratique.
L'équipe doit être disponible à l'autre, "tolérante
sans être complaisante", traitant la dramatisation de certains
passages à l'acte.
Elle doit être pluridisciplinaire et expérimentée
dans son fonctionnement, pratiquant les temps de synthèse. Elle
doit trouver un juste équilibre entre le maternage et l'autonomie
et accepter de ne pas pouvoir tout donner. L'unité doit pouvoir
respecter l'intimité de l'adolescent, voire accepter d'être
le lieu d'un échange relationnel intense, de mécanismes
de projection. L'unité doit s'appuyer sur un cadre, un règlement
intérieur qui permet la symbolisation. Elle doit pouvoir entendre
la recherche de l'autre, de l'égal. Il faut être ouvert au
tissu relationnel, aux parents. Enfin, l'unité doit pouvoir offrir
un lieu d'animaltion, voire d'occupation.
L'intérêt du service adulte dans ce type de démarche
est de pouvoir se mobiliser à un moment pour permettre une prise
en charge créative. Elle est certainement le moment particulier
d'une rencontre entre un adolescent et l'équipe.
UN CAS CLINIQUE :
Emilie C. est hospitalisée trois fois, d'octobre à novembre
2001. Elle et d'août 85 et a donc 16 ans. Elle est au foyer de l'enfance
depuis 3 mois. Elle vient de rencontrer la pédopsychiatrie. Le
même jour, elle arrive aux urgences : " ça va
pas, je suis pas bien dans ma tête, j'ai envie de me suicider, je
m'accepte pas ". Sa mère est décédée
d'un cancer en février de cette année. Elle a un frère
à Reims. Elle est venue avec son père, restaurateur sur
la côte (avec une belle-mère) et elle ne s'entend pas avec
lui. Auparavant, elle vivait avec sa mère. Elle vait été
hospitalisée au Mans, en pédopsychiatrie. On retrouvait
des antécédents de tentative de suicide et la notion de
toxicomanie et de prise de haschich, d'héroïne et de cocaïne.
Le lendemain de son entrée, elle évoque des histoires de
" voix " qui ressemblent plus à un dialogue
interne qu'à un épisode hallucinatoire (si ce n'est peut-être
dernièrement, lors de la prise de LSD).
La biographie comporte des alternances de séjour chez le père
et chez la mère. Elle a séjourné un moment avec son
père à Madagascar (deux trimestres, il travaillait dans
une entreprise de confection). Elle est retournée après
auprès de sa mère, puis elle est repartie à nouveau
chez son père au Maroc. Elle est revenue chez sa mère et
elle a été hospitalisée. Elle se culpabilise que
sa mère soit morte lorsqu'elle était hospitalisée.
Après le décès de sa mère, elle et partie
chez on père, puis l'été, elle a fugué. Elle
est retournée dans la Sarthe où elle vivait dans un squat,
avant de demander le placement en foyer.
On rencontre l'équipe du foyer. Ils parlent de chercher un foyer
pour l'accueillir.
On va rencontrer le père. Il dit " Emilie ne veut
pas venir à la maison ". Il ajoute : " mésentente
avec mon épouse ". Emilie exprime son souhait d'être
émancipée par son père.
Après, en hospitalisation, elle flirte avec le petit ami d'une
autre patiente. Dispute. Fugue du Service.
Finalement, après une nouvelle rencontre avec l'équipe du
foyer, on repère qu'Emilie " a du mal à répondre
aux exigences entre le décès de sa mère et le "rejet"
de son père ". Un foyer sur Toulon est proposé.
Retour au foyer de l'enfance de Draguignan. Fugue.
Elle cherche à joindre le petit ami qu'elle avait rencontré
en hospitalisation. Elle est ramenée dans le service pour une dizaine
de jours. On maintient le projet de placement sur le foyer de Toulon.
Elle a un traitement avec un antidépresseur et un hypnotique. Elle
doit aller visiter le foyer de Toulon. Elle fugue à nouveau la
veille du jour où l'équipe du foyer doit venir la chercher.
Une quinzaine de jours après, elle est ré-hospitalisée
via les Urgences par des amis qui l'avaient hébergée. En
fait, elle n'a jamais visité le foyer de Toulon. Elle a fugué.
" Je suis partie chez des amis, des connaissances, j'étais
à moitié inconsciente, j'avais besoin de me combler avec
quelque chose ".
Elle est alors plus plaintive, s'apitoie, évoque ses épisodes
dissociatifs sous toxiques, ses problèmes de poids quand elle était
plus jeune " quand j'étais enfant, j'étais
forte, après j'ai maigri. C'est ma belle-mère qui m'a fait
faire le régime ". Dans le service, lacérations
(sur le ventre, la joue, les bras). Elle s'est coupé les cheveux.
Cette fois-ci l'hospitalisation dans le service est plus longue, comme
si on était moins dans la construction de projets, acceptant sa
présence, acceptant quelle reste (on n'a plus idée qu'elle
est adolescente et qu'on doit faire vite). On est à la période
de Noël, elle va le passer dans une famille avec une amie quelle
a connue dans le service.
Un projet se construit pour une famille d'accueil, il va aboutir.
PREMIERE VIGNETTE CLINIQUE :
Sébastien, il est hospitalisé en juillet 2002. Il est né
en septembre 1983, il a donc 19 ans. Ses parents sont partis en vacances.
Il arrive aux urgences avec un discours monotone, répétitif
et interminable sur " Dieu, le Sauveur, Satan...Je vous aime
tous...N'ayez pas peur...du Seigneur, j'ai été l'élu "
On a la notion de prise de cannabis d'une façon importante ces
derniers temps. Les parents reviennent en catastrophe. En une semaine,
le discours mystique disparaît. Il critique les éléments,
on se questionne sur sa personnalité.
La famille insiste pour son départ (la mère est infirmière)
et Sébastien a un emploi de brancardier pour l'été.
Je le reverrai une fois au self. On ne l'a pas revu depuis.
Durant l'hospitalisation, il a inquiété suffisamment pour
avoir un traitement avec un antipsychotique (Risperdal).
AUTRE VIGNETTE CLINIQUE :
Gaëlle : elle est hospitalisée de décembre 2000 à
mai 2001. Elle a 18 ans à son arrivée (mars 1982). Parents
divorcés : père antillais médecin. Elle vient de
La Réunion, où sa mère est institutrice. Elle a connu
plusieurs beaux-pères. Elle a été hospitalisée
en Afrique du Sud, il est question d'éléctrochocs.
Après un échec scolaire à La Réunion (DEUG),
elle s'est rapprochée de ses grands-parents qui habitent la région.
Elle arrive avec un traitement normothymique (Tégretol 200 2 cps),
antidépresseur (Deroxat 1/2 cp). Les grands-parents, en difficulté,
viennent à la fois pour une prise en charge médicale et
un projet de formation.
Elle décompense en décembre 2002 avec d'importantes tentatives
de suicide (phlébotomie profonde). De son hospitalisation à
La Réunion, elle dit " j'ai l'impression que je ne
comprends rien, j'imagine que je suis bête...je pensais que mes
parents voulaient me tuer, une manière de se débarrasser
de moi...J'avais peur qu'ils me mettent un truc dans mon verre...Parfois,
je croyais vraiment qu'ils étaient en train de le faire. Je suis
pas très adaptée, j'entends des paroles...Ils chantaient
sur moi ". Elle parle de consommation de haschich.
L'hospitalisation n'améliore pas son état : " j'ai
peur de l'enfer, plus tard quand je mourrai...j'ai peur de ce qui va se
passer après la mort...Une punition de ce qu'on a fait quand on
était sur terre ". Divers neuroleptiques sont utilisés.
Sa mère vient au début de l'année 2001. On a l'impression
que sa tentative de suicide est un appel à sa mère pour
qu'elle la ramène avec elle à La Réunion, mais la
mère va repartir. La position devient de plus en plus régressive
avec des ritualisations. L'état est amélioré par
l'arrêt du traitement neuroleptique. Il reste difficile de construire
un projet. Des permissions sont mises en place par retour au domicile
des grands-parents mais ceux-ci sont peu sécurisés. La prise
en charge prend fin après le retour au domicile des grands-parents.
Ces cas cliniques illustrent en particulier :
- les difficultés de la prise en charge de ces
adolescents ou grands adolescents dans le service.
- la difficulté à poser un diagnostic.
- l'importance des conduites toxicomaniaques-en ce sens
on a l'impression que ces dernières années, la prise en
charge des adolescents laisse apparaître de nouvelles cliniques.
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Dr. Jean-Paul BOYER Mai 2003
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