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L’HOSPITALISATION EN PSYCHIATRIE :
PEUT-IL ENCORE EXISTER DES INDICATIONS ?

M. BERNARD

Une grande partie de ma vie professionnelle s’est exercée dans une activité fondée sur un postulat : l’hospitalisation correspond à une indication positive, irremplaçable et il est de ma responsabilité (et peut-être de mon talent ? ?) de porter cette indication de la façon la plus réfléchie dans l’intérêt du patient et de sa prise en charge. En ce sens, il n’y a donc pas, de mon point de vue, d’alternative à l’hospitalisation.
Cette activité d’indication d’hospitalisation engage totalement ma position de médecin : examen clinique, approche diagnostique et thérapeutique avec les décisions et responsabilités qui vont avec.
Cette activité d’indication d’hospitalisation s’exerce plus particulièrement à certains moments clefs de la prise en charge des patients : passages aux urgences, rédaction des certificats légaux, décompensation au cours de l’évolution de la prise en charge des patients.
Or il m’apparaît depuis quelques années que cette activité d’indication m’échappe de plus en plus pour des raisons peu claires mais qui intuitivement me semblent étrangères au raisonnement médical.

CONSTAT

Le passage aux service d’accueil des urgences

Le service d’accueil des urgences d’un hôpital sorte de sas entre l’extérieur et les services spécialisés me semblait être un lieu favorable à l’élaboration d’une indication d’hospitalisation : possibilité de se mettre un peu à l’écart des évènements, possibilité de se donner un peu de temps, possibilité enfin de moduler les rencontres avec l’entourage social (au sens large du terme) que ce soit pour l’éloigner ou au contraire pour le favoriser. Dans ces conditions il m’apparaissait possible de réunir des arguments cliniques de nature à baliser mon domaine d’intervention et à «orienter» ou récuser une prise en charge psychiatrique. Lourde responsabilité certes mais comme la grande majorité des actes médicaux.
L’activité élaborative des psychiatres en ce lieu me paraît compromise (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut plus y aller… au contraire même) par, en vrac, : la pression sociale, le saucissonnage des modes d’abord de la psychopathologie (ou de la pathologie tout court d’ailleurs) et « protocoles  » qui vont avec (les suicidants, les addictés, les vieux, les précaires, les victimes d’agressions de tous ordres …), la surcharge psychique des équipes de soins de ces services, la saturation des lits hospitaliers toutes disciplines confondues apparemment. L’esprit « encombré », le psychiatre peut-il rester sensible à la singularité du sujet qu’il rencontre ?

La loi de 1990

Je me suis livrée à un rapide examen du « livre de la loi » de mon établissement hospitalier correspondant à 3 secteurs de psychiatrie générale administrés par un hôpital général et j’ai résumé ces données « grossières » dans le tableau ci-dessous :

Admissions 1er semestre
1983
1993
2003
PV/PO
39/1
HO
7
6
HDT 2 certificats
45
30
HDT 32.12-3 med CHRA
1
52
SOS-med
6
autres
8


A noter qu’en 2001 et 2002 comme en 2003, le nombre global d’ HDT et HO varie assez peu (autour de 110) et qu’il représente environ 20% du nombre global des admissions toutes modalités d’hospitalisations confondues.
Quelques remarques et questions autour de l’application de la loi de 90 :
- notre pratique actuelle aboutit à ce que 2/3 des HDT sont des HDT 32.12-3 et dans ces HDT soit disant pour péril imminent, les _ sont réalisées avec un seul certificat émanant d’un médecin de l’hôpital d’Annecy. Il me semble me rappeler que la loi de 90 se voulait plus soucieuse des libertés individuelles que la vieille dame dite «loi de 38» et que pour cela elle introduisait un 2ième certificat.
- Cette pratique «pervertie» est-elle purement locale ?
- Quand s’est produit l’inflexion de cette pratique et quels en sont les éléments déterminants ?
- En ce qui concerne les HO, que dire de cette pratique préfectorale (là encore purement locale ?) qui consiste à refuser presque systématiquement les demandes de levée d’HO (sur des critères totalement opaques) ou les demandes de sorties d’essai . Les certificats établis par les psychiatres justifiant ces demandes sont soumis à vérification (demande d’expertise ou, plus torpide, appel téléphonique à un autre psychiatre connaissant le patient et l’ayant rencontré une fois par exemple au moment de l’admission …)

L’hospitalisation programmée

Elle représente la modalité la plus aboutie de l’indication d’hospitalisation, que cette hospitalisation soit contrainte ou en service libre. Sa réalisation ne devrait donc pas à priori rencontrer d’obstacle.
Or dans la pratique on se heurte à la quasi impossibilité de pouvoir de manière fiable préparer et réaliser une hospitalisation : impossibilité d’assurer une disponibilité en lit constante. Le fonctionnement du service à saturation permanente sur le seul mode d’entrée de l’urgence (via le SAU ou directement de l’extérieur) empêche de maintenir même un seul lit disponible. La seule programmation envisageable se fait sur l’anticipation, à une semaine environ (avec les aléas que cela comporte), des sorties prévisibles.

QUELQUES REFLEXIONS

L’activité psychique élaborative du psychiatre suppose la référence à un cadre conceptuel interne, sorte d’outil psychique que chacun façonne «à sa main», enrichi progressivement de rencontres théoriques si possible diversifiées, enrichi aussi de son expérience personnelle et des échanges et discussions avec collègues et équipes de soins. C’est cet outil évolutif qui devient une charpente pour l’activité de penser du psychiatre.
Les conditions actuelles de travail dont je viens d’évoquer certains aspects contraignants m’imposent un réaménagement : inclure explicitement la relation avec le patient dans ce contexte contraignant. Si l’indication d’hospitalisation telle que je l’idéalisais devient l’exception, la rencontre avec les patients demeure et l’élaboration sur les relations que nous établissons avec eux est la liberté psychique qui nous reste.
Le repérage de « mon » domaine d’intervention devient de moins en moins clair et je me surprends à substituer à cet idéal de «clarté» qui m’a animée une position fataliste du genre : « je fais avec ce que j’ai » c’est-à-dire des patients éventuellement « inadéquats », les tracasseries des tutelles, l’évolution que je ne juge pas toujours favorable des pratiques psychiatriques.
Ce relatif renoncement par rapport à mes idéaux quant aux indications d’hospitalisation a-t-il quelque chose à voir avec la tendance au « désengorgement » du service hospitalier depuis cette dernière année ?
Le souci du respect des libertés individuelles qui a porté le mouvement de « désaliénation » semble devenu  « ringard » et ne plus préoccuper que quelques nostalgiques puisque l’évolution des pratiques de mise en œuvre de l’HDT 32.12-3 ne fait guère débat du moins à Annecy. Faut-il encore résister sur cette pente (« la pente est raide » … !) de la facilité de l’HDT d’urgence ?

EN CONCLUSION (provisoire…)

Poser une indication d’hospitalisation reste-t-il un acte médical qui suppose, pour le psychiatre qui l’exerce, de disposer du choix de son cadre conceptuel, d’avoir la capacité matérielle de réaliser les décisions dans lesquelles il s’engage et ce faisant d’assumer les responsabilités qui lui incombent ?
Face aux multiples contraintes de tous ordres (de l’absence de lits disponibles à la pression sociale «sécuritaire» en passant par les particularités locales des tutelles ) le psychiatre de service public n’a-t-il plus d’autre choix que celui de l’indication du moins mauvais compromis ?

 

 

Madeleine BERNARD
Annecy mai 03.

 
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