Jean-Marc TREFFEL, Nicolas MAUGENRE
Les mots et acronymes affublés d'une astérisque
sont explicités
par survol de la souris et à la
fin du texte.
Peu après la relève de 14h00
JM : Nico, il nous reste des lits au C.H.S. ?
N : Un lit femme au 5ème, un mixte au B3
N*. J'ai 2 signalements,
un du C..M.P.3 pour une rupture de soins Mr P., qui n'ouvre plus sa
porte, il est en crise, les voisins ont signé une pétition,
ils veulent l'exclure s'il ne se soigne pas, nous avons la pression de
sa sœur
et du propriétaire.
Le centre 15 s'est déplacé 2 fois cette semaine, il a réussi à s'enfuir.
Les voisins et les collègues du C.M.P. n'entendent plus parler de lui
depuis 2 jours. Il serait parti acheter une moto !
JM : Il était en sortie d'essai, si il est en fugue sans traitement
il va revenir en état maniaque ! Pour le moment, j'ai un petit couple
qui vient en consultation parce que le Mr a manqué une vaisselle, sa
femme a ouvert la fenêtre, il a cru qu'elle allait sauter (du rez-de-chaussée),
il l'a agrippée, les voisins ont appelé le 17, le 18 et le 15, maintenant
c'est pour nous.
N : Bon attend, j'y vais, termine le transfert de ton jeune,
la mère veut te voir pour les coordonnées de Lorquin, elle est effondrée…
JM : Je vais lui proposer un rendez-vous avec Dominique et l'UNAFAM.
Nico, n'oublie pas tes gants mapa* pour la vaisselle !
Les signalements de situations dépassées
nous arrivent la semaine, des C.M.P. , des assistantes sociales de secteur,
des familles, des institutions
ou de l'ensemble. Nous demandons aux partenaires, un fax pour le C15,
avec les coordonnées et une description de la situation de crise.
Après
plusieurs
rencontres et rappels, sur une année, le système semble rodé,
le C15 répond aux demandes, et avec les orientations et un lit réservé,
il n'y a plus trop de tension. Pour les personnes en précarité psychosociale
non prises en charge, une équipe "réseau précarité" est
en place avec une réunion hebdomadaire le vendredi matin.
Par contre depuis juillet 2003, les pompiers qui interviennent en première
ligne sur des conduites suicidaires, sont dépassés, ils se sentent agressés.
- Un jeune qui faisait une entrée en schizophrénie sur un mode dépressif,
signalé sur une voie ferrée, a retourné son couteau de chasse sur
un pompier (seulement pour qu'il le laisse, sans vouloir le blesser) .
Le
pompier a eu très peur, il a porté plainte, et s'est mis en arrêt
pour dépression. Depuis et de plus le jeune ne comprend rien,
il a peur de finir
sa vie
en prison…
- La semaine dernière, un dépressif n'a pas voulu être pris en charge,
il s'est battu, les pompiers ont porté plainte durant le transfert, la
police
les a retrouvés au S.A.U. , il voulait un C.N.H.* pour
une garde à vue, en fait le patient avait pris une dose massive d'antidépresseurs
et a
nécessité une P.E.C. en U.H.T*,
ils ont maintenu leurs plaintes…
Ils ne font plus la différence entre maladie et violence gratuite.
JM : Bon, Nico, puisque tu parles du loup, Mr P est en chemin,
- Bonjour Mr P…
- Viens te fair enc…
- Mr P, on s'inquiète,où étiez-vous ?
- Au salon de la moto, et je ne te la prêterai pas…
- Vous avez acheté une moto ?
- Oui, espèce de jaloux…
- Et pourquoi venez-vous nous voir ?
- Parce que j'ai payé des coups au terminus puis on s'est battus
parce que les japonaises sont plus rapides que les allemandes…Ou l'inverse,
de toute façon, on me la livre que la semaine prochaine, donc je
pourrai vérifier seulement après.
- Vous n'étiez pas sous tutelle ? Mme A du secteur…
- M'emmerde pas, je suis
retraité, je fais ce que je veux de mon argent, Mme A est triste et ringarde,
j'ai plus de retraite qu'elle a de salaire…
- Mr P, j'ai une demande d'hospitalisation de votre médecin, cela fait
2 mois qu'ils ne vous ont pas vu…
- Tu ne me mets pas en HDT sinon je t'envoie en traumato, j'ai fait la
guerre moi…
- Bon, Mr P on arrête, là, vous irez au service en HDT discuter de votre
moto et de votre tutelle et des plaintes de vos voisins pour travaux…
- Je paye mon loyer, j'habite au rez-de-chaussée, j'ai transformé une
fenêtre en porte pour passer la moto, dans le quartier je ne peux pas
la laisser dehors…
- Oui, ce sont les veilleurs de la sécurité, je vais vous faire une injection,
pour vous détendre.
- Bon,si tu veux,mais demande à ces … de sortir je veux pas leur montrer
mon cul…
N : J'ai un lit (une chambre d'iso qui restera ouverte, demain
midi il reprendra un lit d'une sortie, comme cela il sera dans son unité
et pas au fond du département). Viens on se fait une pause, l'ambu est
là, ils déposaient une personne et sont dispos de suite.
Mme S a été vue par Habiba, suite à son conflit avec son fils, elle a fait
un malaise, elle garde les chiens de son fils toute la semaine, elle
n'aime pas les chiens, mais puisqu'il a eu une amende sur plainte dans
la résidence, les pitbulls ne sont jamais muselés… Elle a donc les
chiens la semaine plus le fils et la belle-fille le dimanche, elle n'en
peut plus…
JM : Je vais la rencontrer et peut-être l'orienter sur l'EPE*.
Mr S tient des permanences dans nos locaux les mercredi. Ces professionnels
de la relation famille, couple, générations, ont une convention
depuis septembre, par contre pour les chiens…
Afin d'avoir des orientations plus fiables, nous avons passé des conventions
avec divers partenaires.
Pour les PEC ados, le CASA* rencontre les jeunes, dans nos locaux les
mardi et jeudi, les relais sont plus fiables quand ils se font de visu.
Il en est de même pour l'EPE, les mercredi.
Les victimes de violences rencontrent Mme L du CIF
CEDIFF*, détachée de
son association les vendredi.
La psychogériatrie proche géographiquement, permet certaines consultations
sur place les jours ouvrables. Idem pour le centre Baudelaire*.
Avec d'autres partenaires les échanges de compétences sont en cours de
convention.
JM : Habiba a admis en UHT une jeune fille pour imv à 13h, maintenant
elle se réveille et veut signer une décharge pour rentrer chez elle,
une amie doit venir la chercher…
Bon, je m'occupe de la miss, appelle le psy de garde, c'est Mme Anasthasia
N.
N : J'ai une reconvocation qui va arriver, on improvisera après.
JM : Bonsoir Dr N… Mlle A doit partir en voyage avec son ami,
elle ne l'aime pas mais ne sait pas lui dire, elle a pris l'ensemble
de son traitement prescrit la semaine dernière par son généraliste
Deroxat et Xanax…
Elle a perdu 10 kg en 2 mois, s'endort facilement à 23h mais se réveille
vers 2h30-3h avec des idées noires, à 7h quand le réveil sonne elle
est fatiguée et ne sait pas comment tenir pour finir la journée.
Elle pense être responsable de tout… Elle connaît son ami depuis
l'adolescence, après plusieurs histoires ils se sont retrouvés, et
se sont installés pour ne pas rester seuls.
Elle pense que lui l'aime très fort, par contre elle ne l'aime pas.
Ne sait pas comment lui dire, peur de perdre son ami… S'ils se séparaient…
Elle ne veut pas qu'il souffre, lui par contre, fait des projets, recherches
d'appartement à acheter, voyages…
Elle préfère disparaitre que de lui dire ce qu'elle pense…
Peu après , Dr N : Effectivement, il faudrait l'hospitaliser
; c'est un état mélancolique, elle ne peut pas aller en vacances pourtant
le voyage est aux Seychelles, sans assurance, et culpabilise beaucoup.
Je vais l'hospitaliser en HL au B3 N, unité de psychologie, vous verrez
avec l'ami, mais il ne doit pas l'emmener, ni la sortir.
JM : Nico, tu en es où avec ta reconvocation ?
N : Elle va mieux et a choisi de voir un psy libéral
après
son passage il y a quelques jours, elle a un rendez-vous dans 3 semaines,
je lui laisse la possibilité de revenir si besoin dans l'attente.
JM : Par contre si tu ne fais rien cette semaine, la dame d'UHT
ira au B3 N, tu pourras donc aller aux Seychelles, son ami t'invite,
moi j'ai refusé… C'est gratis mais tu devras "coucher" !
En fait il ira avec son fils.
N : Il est 23h il y a 2 personnes en UHT pour demain matin. Tu
viens prendre un verre en ville ?
Les reconvocations nous permettent de suivre temporairement
les patients qui ne nécessitent pas une hospitalisation ou si nous
n'avons pas d'orientation satisfaisante dans l'attente d'un relais avec
les CMP ou la psychiatrie
libérale ou d'une place en clinique. Elles sont médicales,
dans le cas d'introduction d'un TTT ou pour avis "diagnostique",
infirmières s'il
s'agit d'un soutien ou accompagnement, avec la psychologue, pour les
enfants ou les familles.
Ce soir nous quitterons à 23h18, plusieurs questions restent en suspend…
- Faut-il rester la nuit ?
- Peut-on demander au patient un peu de discipline,
venir un par un toutes les 1h43 de 9h à 20h17 afin que nous puissions organiser notre staff
du matin, et quitter à l'heure ?! Puisque tout cela doit tenir compte
du fait que le patient est une personne en souffrance à un instant "TS",
nous pouvons répondre par la négative.
- Pouvons-nous exiger de l'A.R.H. des lits en quantité suffisante
pour avoir le luxe d'évaluer les situations de crise 24 à 72
h. Depuis l'ouverture en 95, les promesses sont faites à notre
chef de service, mais tant qu'il se débrouille sans moyen et
sans "casse" et souvent dans la bonne humeur,
nous ne voyons rien venir.
- Devons-nous "lacher" des patient à l'A.R.H. pour
obtenir des moyens, ou nous "paxer" avec des sidérurgistes… s'il
en reste ?
Fonctionnement de l'unité du S.P.U.L.*
En 1999, ouverture du S.P.U.L. : un médecin psychiatre, deux infirmiers,
un cadre et des ISP volontaires détachés de leurs unités sous forme d'astreintes.
En 2004, notre équipe actuelle se compose d'un cadre, de 9 ISP, de 2
secrétaires, d'un chef de service, de 2 PH, de 2 internes et d'une psychologue
à 40%.
Nous intervenons aux S.A.U. et en liaison dans les services.
Lors des C.U.M.P. ou des débriefings collectifs, sur place ou dans nos
locaux.
Il y a les reconvocations en posturgence et les liaisons avec les partenaires
extérieurs, sans oublier les missions de formations et d'informations.
Le rôle propre infirmier :
Nous sommes "détachés" du C.H.S. S.A.U., "tolérés" par
le chef du service des urgences, notre présence permettant en outre
au C.H.S. d'être accrédité
S.A.U.
Nous avons un rôle de consultant : le patient arrive, est installé
puis vu par le médecin urgentiste qui nous demande un avis spécialisé
infirmier. À nous de référer au psychiatre les situations
qui demandent une présence, leur validation ou leur supervision.
L'évaluation faite,
nous renvoyons au médecin référent urgentiste l'orientation
proposée
ainsi que notre point de vue sur le sujet. Ceci ne nous empêchant
pas de poursuivre la P.E.C. jusqu'au départ du S.A.U. par le patient
(accompagnement, ambulance, sédation si besoin…). Il fût
un temps où dans le cas de suicidants, le médecin nous posait
la seule et unique question : "Regrette,
regrette pas", à comprendre
respectivement "domicile ou hospitalisation"… Notre
rôle ne se limite plus à un simple triage mais à un
entretien avec une relation d'aide reconnu par les urgentistes.
Le travail du matin commence par un staff (répartition des tâches, évaluation
de la charge de travail et échange sur les situations du jour, binômes
médecin–infirmier), puis gestion des patients en U.H.T. et
des consultations, enfin rencontres avec les familles… L'après-midi,
les demandes spontanées et la fin des pec du matin.
La charge de travail reste variable d'un poste à l'autre.
Parallèlement à ce travail au S.A.U., un infirmier est détaché par
quinzaine en liaison dans les autres services de l'hôpital. De la même
façon qu'aux
urgences, l'infirmier évalue en première ligne, puis en réfère
au psychiatre si besoin. À part 2 d'entre eux, les services
utilisent notre compétence à bon escient. C'est aussi à l'infirmier
de liaison d'organiser la logistique des débriefings collectifs, voire
des C.U.M.P. (l'animation de ces groupes se fera en binôme psychiatre–infirmier).
Collaboration S.P.U.L.–S.A.U.
2 équipes travaillent ensemble pour un même patient, les approches et les
priorités restent différentes. Les urgences prévues pour accueillir 80
personnes/jour enregistrent entre 100 et 150 passages quotidiens. La
durée d'attente entre l'arrivée du patient et le début des soins est
de 3 à 5 h. Le S.A.U. a donc une logique de pression, voir de gagner
du temps. Le S.P.U.L. voudrait prendre le temps et le donner au patient
dans la résolution de la crise. Nous nous confrontons à des refus de
maintenir des patients en U.H.T. plus de 24 h.
La souffrance psychologique est relativisée et bien souvent mise au second
plan. De la même façon, le suicide d'un jeune ado émeut davantage que
le suicide d'un adulte suite à un divorce.
La récidive exaspère les équipes.
L'acculturation de 2 approches (hôpital général et psychiatrie) reste ancrée
et si chacun tente de se rapprocher de l'autre, il s'agit alors d'une
rencontre entre 2 personnes.
Collaboration S.P.U.L.–S.A.U.
"La maison-mère" (C.H.S.) aurait tendance à utiliser
notre service comme une annexe de l'hôpital psychiatrique. Les admissions
directes de ce dernier sont de plus en plus rares, nous sommes l'aval des
admissions,
qu'elles soient libres ou sous contrainte. De même, les C.M.P. nous
renvoient leur file active bien souvent par carence médicale, ne
sollicitant plus les médecins généralistes pour les
premiers certificats d'H.D.T…
Le projet du S.P.U.L. fût considéré comme "vitrine" de l'hôpital. Nous
sommes facilement l'objet de convoitise mais aussi de critiques, d'hospitalisme
facile, jalous és pour les dotations en personnels par exemple.
Évolution de notre pratique infirmière
L'évolution des mentalités,
la responsabilité, le droit,
les victimes sont de plus en plus nombreuses. Le hit parade des métiers
à risque (Les transports
en commun, les administrations, victimes des usagers et des supérieurs,
les standards téléphoniques "hot-line" …).
les difficultés relationnelles dans les familles,
la perte des repères, des valeurs et du dialogue.
Nous avons un glissement de la souffrance dans ces domaines.
Rare et auto-gérée dans le passé, mais devenue exponentielle
et insupportable au présent, il nous a fallu réapprendre notre
travail.
Tous issus de l'hôpital psychiatrique relégué derrière
les banlieues, nous nous sommes
retrouvés au cœur d'une société, au carrefour de
l'ensemble des réseaux sanitaires et sociaux… au centre ville
!
P.S. En fait, Carole a l'impression de travailler dans
une cuisine où elle se spécialise en patates chaudes pour
une salade multi-composée sur assiettes en carton alors qu'elle rêvait
de préparer
des toasts caviar sur des plateaux d'argent.
Et a besoin d'un bon déo.
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Jean-Marc TREFFEL
Nicolas MAUGENRE
(Infirmiers de Secteur Psychiatrique)
Service de Psychiatrie, d'Urgence et de Liaison
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Lexique :
S.P.U.L. : Service de Psychiatrie, d'Urgence et de Liaison.
B3 Nord : Service de psychologie dépendant du C.H.S. de Jury.
17 : Police.
18 : Pompiers.
15 : Centre 15.
MAPA : Gants réutilisables pour la sauvegarde des mains fragiles. "Ma"
contraction de maman, "Pa" contraction de papa (relatif à chaque
couple).
115 : Hébergement d'urgence.
C.N.H. : Certificat de Non-Hospitalisation, la personne peut aller en G.A.V.
G.A.V. : Garde à vue.
E.P.E : École des Parents et des Éducateurs.
C.A.S.A. : Centre d'Accueil et de Soins pour les Adolescents.
C.I.F. C.E.D.I.F.
: Service juridique d'aide aux victimes.
U.H.T. : Unité d'Hospitalisation Temporaire.
Centre Baudelaire : Centre de consultations de l'I.P.M.
I.P.M. : Intersecteur des pharmacodépendances de la Moselle.
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