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TRANSMISSION DU SAVOIR INFIRMIER

Nathalie CHAZALET

Le thème de la transmission du savoir infirmier en psychiatrie me préoccupe depuis un certain temps déjà car il est directement lié à mon histoire professionnelle :

Je suis infirmière de secteur psychiatrique depuis juin 1993, c’est à dire au moment même où les premières promotions d’infirmiers polyvalents commençaient leurs études. En 1991, j’ai eu la possibilité de changer d’orientation pour passer un DE mais j’ai confirmé mon choix d’être ISP. Cela signifiait, entre autres, que je m’engageais à être porteuse d’une part de l’histoire de ces soignants en psychiatrie, à transmettre aux générations suivantes cette histoire mais aussi le savoir et le savoir-faire qui nous sont spécifiques.
Dès le début de ma pratique professionnelle, je me suis investie dans l’encadrement, et donc la formation des stagiaires infirmiers avec le sentiment que cette part de ma fonction était essentielle. Dans le même temps, je me forgeais ma propre expérience des soins infirmiers au long cours auprès des malades mentaux, notamment psychotiques.
En 2000, après 7 années de travail dans une unité d’hospitalisation à temps plein, je suis arrivée dans un CMP pour adultes. Les soins infirmiers étant très différents dans ces deux structures, j’ai dû me former à une nouvelle pratique des soins infirmiers. Très rapidement, je me suis tournée vers mes collègues, plus expérimentées, pour être aidée. Je me suis positionnée comme receveuse d’un certain savoir qui m’a permis de faire avancer ma réflexion pour trouver ma propre place de soignante au sein du CMP.
Aujourd’hui, me voilà « faisant fonction cadre de santé » et je suis donc à l’aube d’un nouvel apprentissage professionnel…

Je suis persuadée que la transmission tient une place essentielle et constante dans notre métier. Chaque jour, il nous faut apprendre pour comprendre davantage : on est en position de recevoir un certain savoir. Mais aussi, il nous faut constamment nous mettre en position de transmettre ce savoir pour en assurer la pérennité et l’évolution.

Aujourd’hui, mon questionnement est le suivant :

  • Finalement, qu’est-ce que cela signifie « transmettre » ?
  • Qui transmet à qui ?
  • Qu’est-ce que l’on transmet ?
  • Comment transmet-on ?
  • Pourquoi faut-il transmettre ?

Le dictionnaire nous apprend que « transmettre » vient du latin « transmitterre » qui signifie « envoyer de l’autre côté ». C’est l’action de faire passer d’une personne à une autre un bien, une parole, un écrit ou des connaissances. C’est donner quelque chose de soi à un autre. Il y a aussi une notion d’héritage : transmettre c’est laisser à des descendants un bien matériel ou moral (par exemple, un nom, un patrimoine, des traditions…).

Transmettre la spécificité des soins infirmiers en psychiatrie serait donc faire passer d’un infirmier à un autre une histoire, un savoir (ou théorie), un savoir-faire (ou pratique), qui nous seraient propres.

Mais qui sont les protagonistes de cette transmission ?

On voit bien qu’il y a deux acteurs de la transmission : celui qui donne et celui qui reçoit.

Il paraît naturel que celui qui donne soit « l’ancien », celui qui a de l’expérience, celui qui sait. Néanmoins, je voudrais ici faire preuve de prudence car il y a un réel risque de dérive. En effet, il n’existe pas, en psychiatrie, une « Vérité » absolue et indubitable à laquelle il s’agirait d’initier nos jeunes collègues. Celui qui transmet n’est pas « tout puissant » ou « tout sachant » mais celui qui précède et qui enseigne, dans le sens premier de ce terme : « celui qui fait connaître en indiquant ». Je dirai plutôt que celui qui transmet est un tuteur, au sens botanique du terme ! En effet, grâce à la solidité de son savoir et de son expérience, il permet le soutien et l’étayage du plus jeune afin que celui-ci puisse grandir dans son apprentissage, dans sa réflexion.

Et puis je crois que la transmission n’est jamais unilatérale : on a chacun à apprendre de l’autre, le débutant de l’ancien, l’ancien du débutant, l’infirmier de son collègue infirmier, l’infirmier du médecin et le médecin de l’infirmier…etc.…

L’expérience.

Là aussi, il s’agit d’une forme de transmission mais qui, cette fois-ci, ne se fait pas entre deux professionnels mais entre le patient et le soignant. En effet, je crois que c’est en allant à la rencontre des patients, en écoutant et en essayant de comprendre ce qu’ils nous disent de leur maladie que l’on apprend ce qu’est la pathologie mentale. C’est en réfléchissant ensemble, en élaborant ensemble autour de cette maladie que se crée un lien thérapeutique de confiance. On ne peut pas être soignant en psychiatrie sans se confronter à la folie, au délire, à l’insensé, à la souffrance de l’autre.

Mais attention, loin de moi l’idée que l’on apprendrait à être soignant « sur le tas », en écoutant, observant et faisant preuve de compréhension et d’humanité. Il ne suffit pas « d’être » avec le patient, il faut « être soignant ». Comment apprend-on à être soignant ? Il n’y a aucune technique toute faite, aucune « conduite à tenir ». Alors, que faut-il transmettre aux étudiants et à nos jeunes collègues pour qu’eux aussi, à leur tour, prennent une position soignante ? Je crois que la base est d’avoir une conviction personnelle et intime forte que l’on est soignant… Or une conviction se forge, elle ne peut pas être donnée, elle ne peut être que soutenue, intégrée et reconnue par soi puis par l’autre.

Je crois que l’on ne peut pas répondre à la question de la position soignante sans se poser la question suivante : que sont les soins infirmiers en psychiatrie ? De quoi sont-ils faits ? Pourquoi ?

Nous avons admis depuis longtemps que la théorie était un outil essentiel de notre pratique. Par contre, l’inverse, c’est à dire la théorisation de notre pratique, n’en est qu’aux balbutiements. De plus, le processus d’accréditation nous pousse à écrire et formaliser ce que nous faisons… Nous sommes donc face à un défi, celui de mettre à plat notre pratique sans protocoliser de façon rigide les soins infirmiers en psychiatrie…

Comment transmet-on ?

Il est indéniable qu’il subsiste en psychiatrie une tradition orale de la transmission. Au delà d’un travail commun de réflexion, d’élaboration et d’analyse, les discussions qui s’instaurent entre professionnels sont l’occasion de phénomènes d’identification. A l’instar des « maîtres » d’autrefois, chacun de nous construit son identité de soignant en référence à des « modèles » qu’on peut qualifier d’identificatoires. Car finalement, on ne devient pas soignant, mais on s’identifie soignant, on se reconnaît, en se nommant soignant, soignant sur le modèle de l’autre que l’on a découvert après l’avoir reconnu et perçu soignant, donc par initiation. Seulement, actuellement, ces modèles restent souvent référencés à une unité de soin, un secteur ou une institution ce qui ne favorise pas un consensus des pratiques à un niveau plus large.

Par ailleurs, je ne peux pas parler de la transmission du savoir sans évoquer l’évolution de l’institution avec les notions de qualité, de responsabilité, d’information du patient et de sa famille qui nous mène vers une augmentation sensible des transmissions écrites : dossier patient, « transmissions ciblées » des informations, informatisation… Va-t-il en être de même avec la transmission du savoir ? N’y a-t-il pas un risque de théorisation extrême qui risquerait d’empêcher les phénomènes transférentiels, les phénomènes identificatoires et la pensée ? Il me semble que l’enjeu est de lutter contre l’avènement d’une nouvelle génération de soignants dont la pratique pourrait être « robotisée », appliquant des protocoles dénués de pensée…

Alors finalement, à quoi ça sert de transmettre ?

Pour moi, il s’agit essentiellement de « porter témoignage », mettre des mots sur une histoire et une pratique mais aussi « donner le témoin » à d’autres qui continueront à mettre en œuvre cette pratique et à la faire évoluer. Je crois que plus il y a de transmission, plus la pensée est riche et plus les soins prodigués aux patients sont de qualité. Je crois aussi que les équipes ont majoritairement le désir d’avoir ce type de fonctionnement où la parole et la pensée de chacun est permise, reconnue et valorisée.

Pour conclure, je citerai ces deux pensées qui ont guidé ma réflexion sur ce thème de la transmission :
« Qui parle sème, qui écoute récolte » Sagesse persane
« Ne pas enseigner des pensées mais apprendre à penser. Ne pas porter l’élève mais le guider, si on veut que plus tard il soit capable de marcher de lui-même. » Kant

 

Nathalie CHAZALET
FF Cadre de Santé
CHS Saint Jean de Dieu, Lyon

BIBLIOGRAPHIE

  • Dossier Enseigner, transmettre la psychiatrie - Revue Soins Psychiatrie – N°207 – Mars-Avril 2000 – p.4 à 27.
  • La transmission orale du savoir en psychiatrie par Anne REVAH-LEVY – Psychiatrie française – N° 1/2000 – p. 107 à 115.
  • Quelle formation pour quelle psychiatrie ? sous la direction de Francis JEANSON – Ed. Erès –
  • Transmission - Ed. Confrontations Psychiatriques n°44 – 2003
  • Transmission du savoir et du savoir-faire : Problèmes et carences par Hélène LIDA – Perspectives psychiatriques 1989 – N° 18/III.
  • Les « clés du savoir », culture de l’échange ou doctrine sous influence ? par Aurore ROBIN – Revue Soins Psychiatrie – N°228 – p. 33 à 35.
  • Soignants psy : quel avenir ? par André LOUBIERE – Revue Santé Mentale – N°4 – Janvier 1996.
 
Le Cap Ferret 2005 :  Programme et textes