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LES TRAUMAS PSYCHIQUES CHEZ LES ENFANTS : quelques éléments de réflexion díune pratique en pédopsychiatrie

Agnès PIERNIKARCH

Depuis quelques années maintenant, une attention plus grande est portée par les professionnels de l’enfance sur la fréquence des situations d’enfance en danger.
Du fantasme à la réalité, la relation oedipienne avait sans doute souvent masquée une relation incestueuse, plus ou moins imposée. L’écoute plus attentive a mis à jour des situations dont l’horreur même provoquait l’inaudible. La réalité de certaines situations vécues sont hors champ de l’imaginable. Nous y avons été confrontés à plusieurs reprises, notamment dans la pratique de l’accueil familial thérapeutique.Dans la pratique, nous relevons :

  • les agressions extra-familiales
  • les agressions intra familiales
  • les traumatismes d’un groupe social, guerre, terrorisme, boat-people.

1 - L’agresseur est une personne extérieure à la famille et les parents assurent leur rôle de protection. Les démarches auprès des services de police ont été effectuées par la famille, l’enfant entendu par la brigade des mineurs, la demande de
consultation y fait suite. Quelques exemples :

  • une demande d’une J.F. de 13 ans, à la suite d’une tentative d’enlèvement à la sortie du collège.
  • demande de consultation adressé par le Réseau d’aide aux victimes à la suite d’une intervention dans un collège sur les agressions sexuelles.
  • demande de consultations à la suite de révélations pour des agressions sexuelles
  • demande de consultations dans le service de traumatologie à la suite d’une morsure de pitbull d’un enfant de 9 ans.
  • demande de consultation à la suite d’un racket, voire d’un passage à tabac à la sortie du Collège.
  • famille prise en otage lors d’un hold-up
  • intervention dans 2 collèges à la demande de la C.U.M.P.S : menaces d’une bande armée sur la classe d’un collège lors d’un cours d’éducation physique. Intervention à la suite du meurtre d’un élève victime d’une querelle de « quartier ».

2 - Traumatisme intra familial :
Nous distinguerons deux situations : lorsque l’enfant est déjà protégé, et la parole rendue alors possible. Lorsque l’enfant est toujours dans une situation de dépendance vis à vis de l’agresseur, et le silence la règle. C’est bien sûr la deuxième situation la plus pathogène.
L’enfant est déjà protégé lors de la révélation, une mesure de placement a déjà été prise par le Juge des Enfants. L’enfant doit se sentir écouté et soutenu. L’évocation seule est déjà douloureuse. Le travail de consultation va s’orienter sur la notion d’interdit, de possibilité d’intervention de la puissance pénale, et avant toute chose de la protection immédiate. Les droits de visite et d’hébergement sont en général suspendus le temps de l’instruction afin d’éviter les pressions et les menaces sur l’enfant. Les démarches auprès de la justice l’accompagnent, l’aident à faire le travail sur sa propre culpabilité, et l’assurent d’une protection lors de l’incarcération de l’auteur des violences. La brigade des Mineurs dans un premier temps recueille les informations sur les faits, et l’avocat de l’enfant ensuite le prépare à l’instruction, à la confrontation et à l’éventuel procès d’Assises. Le temps de la procédure est un passage difficile mais peut aider l’enfant.L’enfant est dépendant de l’agresseur, c’est la situation la plus difficile et sans doute la plus pathogène.
Dans la plupart des situations, c’est le comportement de l’enfant qui est évocateur, mais le silence est presque toujours observé. L’agitation de l’enfant peut alerter l’école, mais le trouble du comportement n’est pas toujours décrypté. On observe assez souvent même lors de mesures d’assistance éducative la persistance d’attitudes « pour le maintien du lien à tout prix ». Les Juges des Enfants imposent souvent droit de visites et d’hébergement , malgré des signes d’appel à l’aide évidents de l’enfant.
L’enfant peut révéler à un des parents la situation qui lui demande de garder le silence.
C’est alors le plus souvent l’enfant devenu adulte et parfois parent à son tour qui pourra aborder ces questions lors de consultations pour son enfant.
C’est au cours d’un épisode délirant de l’adolescence ou de l’âge adulte que la parole interdite va s’échapper de manière plus ou moins audible.
Lors d’agressions sexuelles, les effets du silence observé sous menace de mort ou non, ou consenti à la demande d’un des parents sont psychiquement extrêmement graves. Nous ferons une place à part à l’assassinat d’un des parents sous les yeux d’un enfant de moins de 2 ans, le père étant l’agresseur dans 3 cas, une bande armée dans le quatrième. Dans un seul cas, la fratrie a été reçue dans les 24 heures après le drame, à la demande de la grand-mère. L’évolution est satisfaisante après un recul de 4 ans.
Dans les 3 autres cas, l’enfant présente un tableau autistique avec un mutisme quasi total et une sidération extrêmement fixée.

3 - Lors des traumatismes de guerre, nous avons retrouvé l’effet dévastateur de la menace « je te tues, si tu parles, si tu me reconnais » « au Zaïre, me dit la mère d’un enfant mutique, que je recevais depuis 4 ans, la parole est dangereuse » . Nous sommes confrontés à des situations qui posent des problèmes d’un autre ordre :certains enfants victimes eux aussi portent des accusations de maltraitance à l’encontre de l’environnement proche, l’instituteur, l’éducateur, le thérapeute, la famille d’accueil, qui révèlent un traumatisme qui ne peut s’énoncer à l’encontre de l’auteur. Ce sont alors les professionnels qui sont victimes de traumatismes très préoccupants.
Dans la pratique de l’accueil familial thérapeutique, nous sommes souvent confrontés à des situations où seule la réflexion en équipe, famille d’accueil incluse, permet de ne pas nuire, devant des accusations qui demandent souvent à être décryptées.
Nous évoquerons brièvement les traumas psychiques lors de la mort subite du nourrisson. Les pédiatres y sont très attentifs et prennent très au sérieux ce drame et ses conséquences psychologiques.
Dans ce bref inventaire non exhaustif, nous voyons que nous sommes confrontés pour une large part de notre activité à cette pathologie, que ce soit dans l’immédiateté du trauma ou quelques années plus tard. Nous insisterons sur les effets pathogènes du silence de la victime, silence imposé ou consenti, qui nous impose l’attente et un sentiment d’échec et d’impuissance. La pratique nous a montré la nécessité d’une vigilance de plus en plus grande devant des paroles d’enfants qui évoquent des abus sexuels que nous avons eu trop souvent tendance à banaliser ou à entendre comme l’expression d’un fantasme.

 
Ile Berder 2002 :  Programme et textes