- Compte-rendus
Intervention et débat sur la clinique du traumatisme psychique

[Dr. Agnès PIERNICKARCH, Dr. Daniel CHARDIN, Dr. Evelyne VAYSSE]

Le traumatisme psychique est la rencontre avec le réel de la mort. L’origine de cette représentation est militaire américaine dès la fin de la seconde guerre mondiale (théorie de Mitchel) et des conflits qui ont suivi (Corée, Viêt-Nam, guerre d’Afghanistan pour les Soviétiques, Algérie et guerre du Golfe pour les Français). Crocq et Lebigot, pour les travaux français se démarquent des américains (débriefing et défusing comme travail de la mémoire ou de la dimension cognitive de la situation) par une approche plus en rapport avec l’expression des émotions.

Le réel de la rencontre avec la mort est certainement la rencontre avec une situation exceptionnelle impossible à parler (accidents, situations de guerre, violences intra-familiales…) à laquelle s’oppose le harcèlement psychique qui renvoie plutôt à une modalité perverse de la relation à l’autre. A la situation de traumatisme physique des médecins militaires, les psychiatres militaires ont su montrer la dimension psychique du traumatisme. On peut s’interroger sur une extension de la définition à l’impossibilité de dire le réel de la mort comme fondateur du silence que l’on retrouve dans la menace liée aux interdits ou à la perte de la capacité de la reconnaissance de soi comme sujet, perte évidente dans la sidération stuporeuse lors de l’événement traumatisant et que l’on peut retrouver tout au long de la vie dans l’incapacité à élaborer la mémoire de l’événement, du souvenir et dans l’aliénation de la fonction sujet (qui permet que le même traumatisme soit vécu différemment par des victimes différentes). De toutes façons, on peut parler de mystère du traumatisme pour ce qui fait violence dans la situation traumatisante.

On insiste sur des modalités différentes de traumatismes. Celui vécu immédiatement après la situation traumatisante justifie des interventions précoces puisque les personnes errantes en état de sidération n’iront pas vers des lieux de soins du fait de l’incapacité à nommer, à reconnaître la portée du traumatisme. A l’opposé, à distance du traumatisme, on verra se constituer des tableaux cliniques précis : PTSD et névroses traumatiques invalidantes.

L’élaboration du traumatisme s’inscrit dans la durée. Au terme de « métabolisation » (élaboration d’une autre représentation de l’événement) appartenant au vocabulaire de la biologie, de la médecine ou de la nutrition, perçu comme colmatant la pensée, on préfère celui de changement global de la personne, reconsidération de la vie entière, dans une perspective phénoménologique, dionysiaque et nitchéenne.

Une bonne partie du débat est consacrée à la CUMP, son organisation et aussi ses contradictions : pas de moyens pour la prise en compte du travail des volontaires, ce qui fait d’eux des bénévoles allant vers un risque d’épuisement ; professionnels soumis à la pression des autorités pour des interventions médiatiques, sociales voire politiques alors qu’il s’agit de professionnels du soin voulant construire des actes thérapeutiques ; en particulier, il faut pouvoir résister à des demandes des politiques ou des autorités, parfois peu claires, ambiguës, allant jusqu’à déclencher une intervention à la place du secteur psychiatrique dont on pense qu’il refuserait d’intervenir.

Ce qu’il y a d’intéressant dans les situations thérapeutiques présentées par nos collègues, c’est combien elles peuvent être perçues comme utiles, permettant une parole et une mise en relation, parfois médiatisée par des gestes simples, parfois un accompagnement, toujours fondé par la capacité à pouvoir repérer la dimension psychique de la souffrance et le recul pour ne pas l’exacerber. Ces actes généreux ne sont pourtant pas simplement des gestes de mise en lien avec le tissu social mais bien des gestes de soin mis en œuvre par des professionnels formés et spécialisés pour lesquels l’émotion n’est pas exclue puisque au fond l’expérience ne signifie pas l’habitude. La spécialité psychique médicopsychologique (médecins, infirmiers) semble s’imposer et récuse les intervenants psychosociaux, les sauveteurs, les bénévoles (premiers intervenants dans le contexte anglo-saxon). Ces modalités d’intervention ultra précoces (études israéliennes) de bonnes volontés ou bonnes pensées ou à l’inverse d’exacerbation, d’induction de traumatismes peuvent être à l’origine de résultats négatifs.

L’évaluation est donc nécessaire. Elle est particulièrement difficile à faire puisque les personnes exposées au traumatisme peuvent avoir des réactions extrêmement différentes, que le vécu traumatisant peut se répéter à l’occasion d’évènements fortuits (exemple : le procès Barbie pour les victimes de la déportation) ce qui nécessite aux côtés de ce type de recherches, des études épidémiologiques.

 

 

 
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