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Espace et soins, espaces de soin | |||
DEPRESSION DU SUJET AGE : « Les hôpitaux sont en quelque sorte la mesure de la civilisation d’un peuple. Ils sont plus appropriés à ses besoins et mieux tenus à proportion qu’il est plus rassemblé, plus humain, plus instruit ». J.R.Tenon -1788- Sur la terre des dinosaures Le service existe depuis la création de l’hôpital, construit entre 1868 et 1876, en application (tardive) de la loi de 1838. Pour cet ouvrage, l’architecte, spécialiste ès monuments officiels, s’est largement inspiré des préceptes d’Esquirol : Sur une centaine d’hectares à la campagne, une enceinte de hauts murs abrite des pavillons imposants, distribués symétriquement de part et d’autre de la chapelle qui marque la séparation des quartiers hommes de ceux des femmes. On y accède par une allée majestueuse, flanquée des maisons solennelles des médecins-chefs, et autres tenants du pouvoir et du savoir. L’asile, dans l’absolu « puissant outil de guérison », n’est en fait guère un lieu de soins : Les fous sont classés en catégories dans leurs quartiers : « tranquilles », « semi-tranquilles », « faibles et vieillards », « agitables et malpropres », « agités en cellules »… Le traitement ( ?!) est assuré par 5 médecins-chefs pour un millier d’aliénés. La pharmacopée est misérable : des purgatifs, quelques opiacés et des bromures. On traite par hydrothérapie : douches ou bains, partiels ou complets , selon l’indication, et on rééduque par le travail : cultures et ateliers pour les hommes, cuisine et lingerie pour les femmes. Pour tous, l’enfermement reste la règle. Le concept de soins n’existe pas en dehors du savoir médical. Une petite quarantaine de « gardiens-infirmiers », qui ne sont guère plus que des domestiques, assument la surveillance des quartiers des hommes, dont ils partagent le quotidien, et quasiment les conditions d’existence. La même proportion de religieuses s’occupe des femmes. Notre pavillon, côté hommes, regroupe « infirmeries et surveillance constante », c'est-à-dire les aliénés « contagieux ». Service de soins généraux, donc, mais où, sans doute, la folie n’est pas mieux traitée. Le cercle des poètes disparus Dès la fin des années 30, le « 8H » (8è pavillon hommes), dirigé par le Docteur André Requet, va être l’un des services pilotes de la réforme psychiatrique, qui sera hélas freinée par la guerre et ses conséquences sur les aliénés. Cependant, l’élan est donné vers une prise en compte des malades en tant que sujets, et vers une évolution de la psychiatrie comme discipline médicale à part entière. Dès lors, vont se succéder concepts thérapeutiques et remaniements architecturaux, accompagnés de la reconnaissance des « gardiens de fous » comme partenaires de soin. Pour la première fois depuis JB Pussin, le nom d’un infirmier est associé à celui du médecin dans un mouvement « révolutionnaire » : celui d’Auguste Charnay, surveillant chef du pavillon, pionnier de l’humanisation et de l’ouverture des services, et initiateur de l’ergothérapie sur l’hôpital. Notre unité de soins porte encore son nom aujourd’hui. L’ évolution vers le secteur va ensuite déplacer cette dynamique vers l’extrahospitalier, et le service va peu évoluer, tandis que se multiplient Centres MédicoPsychologiques, Centres de Jour et autres CATTP. C’est ainsi que nous avons travaillé jusqu’en 2001 dans des locaux vétustes, quasiment inchangés depuis les années 70 : Des couloirs sombres aux murs patinés par des décennies de tabagie collective, Des chambres, pour la plupart à 3 ou 4 lits, équipées de mobilier dépareillé et d’un lavabo dans un coin ; 2 ou 3, luxe suprême, disposent d’un cabinet de toilette. Pour le reste, sanitaires communs offrent à 25 patients, 3 WC, 2 baignoires et une rangée de douches mal masquées derrière des rideaux en plastique. Les espaces collectifs (réfectoire, salle télé, jardin…) sont vastes, mais le quotidien s’organise principalement autour de « l’office du personnel » où une longue table en chêne récupérée d’un atelier d’ergothérapie, accueille, outre les pauses du personnel, les relèves d’équipe et les réunions pluridisciplinaires, cliniques ou institutionnelles ; Lieu de détente et de travail, mais avant tout, lieu de rencontre et de partage, c’est ici que s’installent ensemble patients et soignants, pour un temps de discussion, un jeu de société ou la rituelle tisane du soir. Hors des bureaux « d’entretiens », la relation se noue dans l’interstitiel, et le soin passe par le groupe, dernier vestige de la psychothérapie institutionnelle. C’est le temps de la « convivance » exprimée par G. Daumezon. Les temps modernes La réhabilitation du service a été pensée des les années 90, interrogeant d’emblée notre idéal de soins. Il fallait créer un espace, qui, intégrant normes d’hygiène et de confort, reste un lieu « par lequel on peut soigner ». Les nombreuses réunions ont mis en évidence notre souci de l’intimité des patients, et la question de notre propre capacité à accepter de les perdre de vue. A l’inverse du « Panopticum » longtemps vanté, la disposition des locaux s’est construite sur l’idée du labyrinthe : de vastes espaces de circulation, ménageant des recoins suffisants à la part de « l’imprévu et de la rencontre ». Dans cette idée, les médecins ont choisi de se poser « sur le bord » du service. Ni tout à fait dehors, ni tout à fait dedans, leurs bureaux ouvrent indirectement sur le service (par le biais d’un « sas »), et offrent également une issue indépendante, affichant clairement le refus d’un poste de « garde barrières ». Effet indésirable de cette conception, la notion de territoires séparés s’est imposée d’elle-même, entérinée par un maximum de chambres seules, où depuis peu les patients peuvent s’enfermer. Une portion de couloir aligne désormais des espaces de soins clairement délimités : bureau du cadre, lieu d’autorité..et de réunions, bureau infirmier, véritable « computer-room », où nous mutons inexorablement vers une nouvelle race « d’infirmier-ticiens » A la suite, salon d’apaisement et chambre d’isolement, placés ici dans l’idée d’une surveillance accrue, et dont le résultat est un « isolement de l’isolement ». Au fond du service, « l’office » n’est plus un lieu partageable, et si le groupe patients-soignants se reforme de manière ponctuelle, c’est à l’initiative des uns ou des autres principalement dans les lieux de détente. Il est pourtant encore un espace où perdure le « Vivre-avec » : L’U.J., Unité de Jour ou encore Unité joyeuse ; Concept existant depuis 1997, c’est une unité fonctionnelle indépendante, mais partie intégrante des locaux, qui accueille les patients, sans prescription médicale, et sans autre condition que le respect des lieux et des personnes qui s’y trouvent. Animée par 2 infirmières, elle propose ateliers ouverts, activités sportives, discussions et jeux de société…autour d’une longue table en chêne…héritée de l’ancien service. Ici, le statut de chacun est moins marqué, et la hiérarchie des relations s’estompe au bénéfice de la convivialité . L’absence d’enjeu thérapeutique, les infirmiers en « civil », l’emploi généralisé des prénoms, tout contribue à l’égalité, devant les chances de faire le double-six qui démarrera la partie de petits chevaux. Espace occupationnel, peut être, mais soignant, à coup sûr, ne peut-on pas le considérer comme une résurgence des « clubs » disparus ? 2012, odyssée de l’espace ? D’ici 3 ans, (ou 4, ou 5), l’hôpital va être entièrement reconstruit, dans une perspective polaire. (ça fait froid dans le dos ?) Le pôle, réalité fonctionnelle, a besoin maintenant de se structurer au niveau architectural pour se mettre à exister « sur le terrain ». Pour l’instant, ce projet de création est porté uniquement par les médecins-chefs-de-pôle, et les cadres- supérieurs-de-pôle. Il est question de regrouper (autour de la chapelle ?) des services où seront classées les « entrées », les « brefs séjours », les « longues évolutions », et les « foyers », de vie ou de réinsertion. Nous ne savons pas encore si les équipes seront associés à l’élaboration de leurs futurs lieux de soins. Nous savons cependant, que « nôtre » pavillon ne sera pas démoli, et que certaines de nos conceptions originales (salon d’apaisement, unité de jour, ..) seront réutilisées et généralisées sur l’ensemble du pôle. Pour tout dire, nous sommes assez fiers de penser que, dans la lignée de son passé, notre service puisse encore rester novateur et porteur de l’identité du secteur, et nous espérons, (forts de l’expérience déjà vécue), avoir l’occasion d’améliorer encore cet espace partagé. Car, et chacun le sait : « Quand le bâtiment va, tout va ! ».
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