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Tentative de suicide chez les sujets âgés | |||
« Sursuicidité en Bretagne » Bro Gozh ma zadou Oh vieux pays de mes ancêtres L’Ankou : « l’ouvrier de la mort ; on le dépeint tantôt comme un homme grand et maigre, aux cheveux longs, tantôt sous la forme d’un squelette drapé d’un linceul. Il tient à la main une faux. » (Anatole Le Braz – Les légendes de la mort - ) Cette figure centrale de la mythologie de Basse-Bretagne est l’ouvrier de la mort, celui qui l’annonce et n’est jamais là où on l’attend. Tout aussi obsédant est le refrain de la croyance qui nous rappelle que l’Ankou est le dernier mort de l’année de la paroisse et qu’il emporte les défunts, la nuit dans une charrette aux essieux grinçants appelée : « Karrig an ankou » : la charrette de la mort. « Après la gloire et les vanités, tes vêtements et tes ornements l’ankou viendra avec empressement quand il lui prendra envie pour te tuer tout à fait, de sorte que ton aspect deviendra horrible et triste à jamais » Poème du Moyen-Age . Beaucoup de textes de cette époque tournent autour de la question de la vanité (destinée plus ou moins mortelle de l’homme). Souvenons nous du cadran des horloges « elles sonnent toutes, la dernière tue », inaudible et assourdissant « tic-tac » présent autrefois dans tous les logis. « La mort, la vanité, le temps qui passe, le sens de la vie, tout cela nous nourrit car il n’y a de réalité qu’entre le berceau et le cercueil ». Environ 850 personnes se suicident en Bretagne chaque année. Ce chiffre est le plus élevé de toutes les régions françaises, même si depuis quelques années il baisse régulièrement ; le pays du Trégor-Goëlo présente une surmortalité liée au suicide par rapport à la moyenne nationale. La part des personnes âgées est plus élevée en Bretagne que dans la moyenne nationale (en 2003, 8,6 % de la population régionale avait plus de 75 ans contre 7,7 % au niveau national). Les projections démographiques prévoient un net vieillissement de la population avec un doublement des plus de 80 ans entre 2000 et 2010 (le scénario développé par l’INSEE prévoit que la part des personnes âgées de plus de 60 ans devrait progresser de 22,2 % en 2000 à 27,8 % en 2015 et à 35,5 % en 2030). Ces projections prévoient également en 2030 que la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans sera plus marquée en Bretagne que dans la moyenne nationale. Rappel épidémiologique - Au niveau européen, la France occupe une position assez défavorable en terme de mortalité par suicide (16,1 décès par suicide pour 100 000 habitants). - Le taux de mortalité augmente fortement avec l’âge avec des taux très élevés chez les plus de 80 ans ; il existe également une nette différence selon les sexes ; tendance plus particulièrement prononcée chez les hommes (surmortalité après 60 ans de deux fois plus de suicide que chez les femmes et 5 à 6 fois plus après 85 ans). Si cette mortalité par suicide est plus élevée chez les personnes âgées sur le territoire national, elle est d’autant plus marquée en Bretagne (23,1 %). La comparaison des taux nationaux et des taux bretons montre que la mortalité par suicide après 65 ans est plus élevée et ce quelque soit le sexe ; l’ampleur du phénomène est souvent sous-estimée or en Bretagne en 2000, on constate que 30 % des décès par suicide sont le fait des 65 ans et plus (avec une grande fréquence de suicides en maison de retraite). Concernant les modalités de suicide, les personnes âgées utilisent des formes brutales et sans appel. Les hommes âgés ont le plus souvent recours à la pendaison, aux armes à feu ou à la noyade ; l’empoisonnement restant marginal. Chez les femmes, le mode de suicide le plus fréquent est la pendaison ou la noyade ainsi qu’aux empoisonnements souvent par les tranquillisants ou des psychotropes. De la même façon, les conduites suicidaires (équivalents suicidaires comme un suicide qui ne dit pas son nom) sont préoccupantes (syndrome de glissement, de renoncement, conduites addictives). Les caractéristiques et facteurs de risque : Le suicide est un phénomène multifactoriel faisant appel à un certain nombre de risques suicidaires complexes et interdépendants. Le cumul de ces facteurs internes et externes accroît le risque suicidaire. Un certain nombre de facteurs aggravants ont pu être repérés :
La surmortalité par suicide en Bretagne des personnes âgées de plus de 60 ans, en l’absence de carence grave du système de soins de notre région, s’explique ainsi essentiellement par des déterminants culturels et sociaux. Si on se rapproche du travail mené en 2003 et résumé par Y. Barbançon (la suicidité en Bretagne ; contribution à une explication socio-culturelle) : - La sursuicidité bretonne est un phénomène relativement récent et a particulièrement progressé à partir des années 1950 et a de quoi inquiéter (alors que l’on n’enregistrait guère qu’une centaine de suicides dans toute la région dans les années 1830, on en comptabilise plus de 1000 dans les années 1990 ; quant au taux brut de suicide, il atteint les 30 décès pour 100 000 habitants quand il ne dépassait pas les 5 pour 100 000). - De la sous-suicidité à la surcuidité : au XIXè siècle, la Bretagne semble « à l’abri du phénomène » qui Durkheim l’a montré en 1897 touche plutôt les zones urbanisées et industrialisées. Après une période de relative stabilité au cours des années 1830 à 1850, la mortalité par suicide ne cesse d’augmenter du second empire à la première guerre mondiale. Le XXè siècle est la montée des périls, tous les départements bretons sont concernés, mais ce sont les Côtes d’Armor qui enregistrent la plus forte croissance en un siècle. Répartition inégale des suicides dans la région (comme en France la mortalité est trois fois plus importante pour les hommes que pour les femmes), mais également variable selon les départements avec des répartitions géographique inégales (Cf. région du Trégor-Goëlo dans les Côtes d’Armor au plus fort taux recensé). Les taux masculins de mortalité par suicide augmentent avec l’âge passant de 73/1000 entre 60 et 74 ans à 159,5/100 000 après 85 ans ; les taux féminins restant stables : 30/100 000 quelle que soit la classe d’âge. On repère également l’isolement social, familial ou géographique ainsi que les pathologies psychiatriques dont la dépression comme facteurs aggravants ; mais dans la plupart des cas, les conduites suicidaires du sujet âgé surviendraient en dehors d’une pathologie mentale notoire. Alors la sursuidité conséquence du changement social ? On peut sans crainte, comme l’ont fait de nombreux sociologues (Ch. Baudelot, P. Houée et R. Establet) mettre en rapport l’augmentation récente des taux de suicide, notamment en milieu rural, avec le changement qui a marqué les campagnes bretonnes depuis un demi-siècle bouleversant aussi bien les paysages (effets néfastes du remembrement) que les modes de vie et de production des paysans : réduction des effectifs de la population active agricole, mécanisation et pénétration du capitalisme agro-alimentaire dans un monde vivant jusqu’alors principalement en autarcie, apparition d’un « sentiment d’insécurité et d’incertitude » pesant sur l’agriculture. De même, on ne peut manquer de mettre en relation l’impact du vieillissement et de la relative désertification d’un certain nombre de zones rurales, avec le développement du suicide dans la région. Dissémination des hommes dans une région d’habitat dispersé, célibat forcé d’un grand nombre d’agriculteurs dans des campagnes délaissées par des femmes confrontées plus qu’eux à des conditions de vie pénible, veuvage ou encore difficultés de déplacement pour les personnes âgées sont autant de facteurs qui favorisent l’isolement et les pertes de lien social, sinon l’exclusion. Enfin, au plan culturel, on ne peut passer sous silence le recul de la pratique religieuse, y compris dans les campagnes et principalement observé depuis le milieu des années 1960 le recul de la langue bretonne malgré un sentiment identitaire breton (70 % des habitants se disent « très attachés à leur région » mais aussi une vision représentative du breton qui apparaît négative « têtus, introvertis, durs, froids, alcooliques… ». Si deux voies de promotion sociale et de modernité (post 1960) furent empruntées : les uns se jetèrent dans les études, les autres dans la modernisation de l’agriculture, aujourd’hui on est en pleine crise de la modernité et plus personne ne croît à la solution magique du progrès. L’analyse transversale de l’ensemble des travaux réalisés (données bibliographiques, historiques, statistiques, enquêtes, questionnaires et entretiens, ateliers de recherche-action rendant compte de l’expérience des acteurs de terrain) confirme que le suicide comme phénomène et processus fait appel pour son explication et sa compréhension (selon qu’on l’aborde à un niveau sociologique ou clinique) à une pluralité de facteurs entre lesquels il n’est pas toujours facile d’établir une hiérarchie. Les travaux ont confirmé que dans certains cas ces facteurs peuvent se cumuler, que l’importance des interactions sociales, pointées comme particulièrement fortes en Bretagne si elles ne sont pas exclusives, elles y prennent plus de relief qu’ailleurs.
Suicide, sursuicidité mais pas fatalité ; depuis 1996, la conférence régionale de santé a fait de la prévention du suicide une priorité régionale ; un premier programme régional a porté sur la souffrance psychique et le phénomène suicidaire, un deuxième programme de prévention :
La conférence de consensus organisée en 2007 par le conseil régional de Bretagne à Rennes a émis également un certain nombre de préconisations : 1 – Ne pas se tromper sur le sens du suicide des personnes âgées et faire reconnaître les personnes âgées comme une population à risque 2 – Réfléchir aux manières de changer le regard sur la vieillesse et sur son propre vieillissement 3 – Changer le regard sur la mort et réinscrire la mort dans la vie 4 – Repérer et prendre en charge la dépression 5 – Mieux prendre en charge la douleur et la souffrance physique 6 – Mettre en œuvre une stratégie d’accompagnement des ruptures 7 – Encourager les personnes âgées à anticiper leur vieillissement 8 – Préparer l’entrée en institution 9 – Changer le regard des personnes soignants. Passer du « prendre en charge » au « prendre en soins ». 10 – Lutter contre l’isolement 11 – Soutenir les aidants familiaux 12 – Etre attentif à la programmation urbaine et favoriser des formes de résidentialisation innovante.
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