J’ai souhaité apporter ma contribution à la réflexion sur la « fin de vie du psychotique » à partir du mémoire que j’ai rédigé pour le diplôme sur la psychiatrie de personne âgée sous le titre « Le vieillissement de la personne handicapé ».
Ma pratique en foyer de vie et les recherches bibliographiques montrent, c’est une incidente du travail, que bon nombre de « handicapés » sont ce que l’on appelle dans le champ de la psychiatrie des « psychotiques »
Enfin, on peut considérer que le vieillissement peut être un trajet de fin de vie du psychotique.
Le vieillissement des personnes handicapées est devenu, ces dernières années, un fait social.
Il y a une vingtaine d’années, quand, arrivait en hospitalisation une personne handicapée vieillissante, on relevait le fait. A présent, ce n’est plus d’un phénomène individuel dont il s’agit, mais bien d’une « population », population pour laquelle des réponses doivent être trouvées.
La notion de vieillissement de la personne handicapée, elle-même doit être interrogée,
- s’agit-il du cadre administratif : personne qui ne pourra plus rester dans le CAT ou devra bénéficier du minimum vieillesse à la place de l’allocation d’adulte handicapé ?
- s’agit-il de ce que l’on appelait « le vieillissement précoce » de la personne handicapée, qui est, à présent, nommé « vieillissement spécifique »
Par ailleurs, on sait qu’il n’y a pas « d’âge » pour « devenir vieux» (même si cela est repéré de 60 à 65 ans) Les âges physiologiques, psychologiques, sociaux, chronologiques, subjectifs, se mêlent.
I - ELEMENTS STATISTIQUES SUR LA SITUATION ACTUELLE
Déjà, on peut considérer qu’il y a un allongement de la durée de vie des personnes handicapées.
Le Docteur Philippe GABBAÏ compare l’espérance de vie entre la période 1972-1979 et 1981-1990. Il constate que pour tout handicap, l’espérance de vie passe de 48 à 60 ans.
- les maladies mentales et les déficiences mentales moyennes et légères ont une espérance de vie supérieure à 70 ans.
- les déficiences mentales profondes dépassent 50 ans (progression nette de +20 ans).
- les trisomiques atteignent 54 ans (soit + 19 ans).
- les personnes polyhandicapées, 40 ans (soit + 13 ans).
Si l’on prend la population de 76 288 adultes handicapés, clients d’établissements et de services d’hébergement (source 6 Annuaire des statistiques sanitaires et sociales 1999), en janvier 1996, sur ces adultes handicapés placés :
- 81,3 % présentaient un retard mental ou autre déficit du psychisme
- 2,5 % de déficits auditifs et visuels
- 7,2 % de déficits moteurs
- 0,3 % de déficits viscéral métaboliques ou nutritionnels
- 7,6 % étaient des polyhandicapés
- et 0,4 % handicaps non déterminés.
II - REFLEXIONS SUR LES CONCEPTS
1) Vieillesse – Vieillissement
On ne s’attardera pas trop sur concept général.
On retrouve dans le dictionnaire Petit Robert :
Vieillissement : fait de devenir vieux ou de s’affaiblir par l’effet de l’âge.
Processus physiologique normal que subit tout organisme vivant au cours de la dernière période de sa vie.
Vieillesse : dernière période de la vie normale qui succède à la maturité, caractérisée par un affaiblissement global des fonctions physiologiques et des facultés mentales, et par des modifications atrophiques des tissus et des organes.
Pendant longtemps, il a été question du vieillissement précoce des personnes handicapées, un – « vieillir avant l’âge »
Ce concept s’avère faux comme en témoignent les statistiques précédentes.
Le Docteur GABBAY déclare « il n’existe pas de vieillissement précoce chez les personnes handicapées mentales ».
Il retiendra comme exceptions :
- certaines pathologies génétiques comme la trisomie 21
- les syndromes d’arriération mentale profonde où s’observent des « insuffisances poly-systémiques évolutives »,
- des phénomènes d’usure précoce dans le cas du handicap moteur ;
En dehors de cela, le vieillissement doit être compris comme un phénomène multifactoriel, évoluant souvent par paliers avec des phénomènes d’adaptation différents suivant les individus comme dans la population générale.
Chez la personne handicapée mentale, on concevra que la mauvaise observance des règles physiologiques de base, comme une alimentation correcte, le soucis de prendre soin de soi, le respect des rythmes et des équilibres par exemple, vont conduire à des décompensations chez des personnes mal structurées psychiquement, aboutissant à des phénomènes de régression.
3) Handicap
Le handicap est une notion qui trouve son origine dans les victimes de guerre, qui devait bénéficier de compensations .
La Loi du 30 avril 1975 sur l’orientation en faveur des personnes handicapées ne définissait pas ce qu’était le handicap.
A l’époque, l’OMS appelait « handicapé un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, de sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouve compromise ».
A partir de là, le concept de handicap est devenu polymorphe renvoyant soit à la chronicité, soit aux incapacités de travail, soit aux problèmes sociaux, soit aux difficultés psychiques ou somatiques.
Par certains cotés, on pouvait considérer que le handicap est ce qui était accordé par la COTOREP,
D’un autre coté, le concept renvoyait à un statut social s’opposant au statut de « malade ».
Cela se retrouve dans le terme « personne handicapée » qui dénote une démarche d’objectivisation alors que la maladie, maladie mentale, renvoie au sujet, sujet de sa maladie.
La Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances de la participation et la citoyenneté des personnes handicapées définit ainsi le handicap dans son article 2 :
« constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques d’un poly-handicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
III - VIGNETTE CLINIQUE : PATRICIA
1) Elle a 57 ans.
Scolarisée jusqu’à 14 ans (certificat d’études primaires), elle a travaillé comme femme de ménage de façon irrégulière.
A partir de l’âge de 20 ans débutent les problèmes psychiatriques avec de nombreuses hospitalisations en alternance avec une vie professionnelle. Elle est adressée pour la première fois en CAT en 1973, puis est ré-hospitalisée.
Le diagnostic est celui de schizophrénie paranoïde stabilisée sous le mode déficitaire. Elle est placée au Foyer le 2/5/1990, et a été hospitalisée en psychiatrie de façons épisodiques.
Dans la synthèse de 1999, on note : « elle s’invente une vie avec des enfants, un mari », mais à la fin ses fabulations finissent toujours par son propre rejet, « le mari l’a quitté et est parti avec ses enfants ».
Depuis cette année, quand je la vois pour ses entretiens mensuels, elle parle chaque fois des « morts » de sa famille.
Le traitement comporte :
ZUCLOPENTHIXOL DECANOATE - HEPTAMINOL - LEVOMEPROMAZINE - CARBAMAZEPINE
On note par ailleurs une intoxication tabagique.
2) Pour illustrer mon propos du jour il faut d’abord dire que je connaissais Patricia avant son arrivé au foyer ; elle était prise en charge dans une unité d’hospitalisation du secteur où je travaillais et présentait le tableau que l’on qualifierait de « psychotique chronique »
3) Pour continuer à illustrer mon propos il faut que j’évoque la suite des événements, la vignette clinique de mon mémoire datant de 2 ans.
En début d’année Patricia participe à une sortie à la neige, pratique la luge, fait une mauvaise chute, dit un peu qu’elle à mal au dos mais se relève et marche.
Depuis 15 jours on disait de Patricia qu’elle « régressait » elle participait moins aux activités, voulait rester au lit.
Le surlendemain de la chute quand Patricia ne veut pas se lever, la régression se confirme et lors de ma venue au foyer on me demande de l’hospitaliser. Je valide l’indication mais comme une ambulance doit être appelée, Patricia ne pouvant tenir debout pour être accompagnée par l’équipe éducative, je demande qu’elle passe par les urgences.
Deux heures après on sait qu’elle a une fracture tassement de L1-L2 et une paralysie des membres inférieurs.
Depuis 15 jours Patricia est revenue au foyer après intervention chirurgicale et rééducation. Elle marche avec un corset et présente une incontinence urinaire épisodique en cours d’exploration.
Dans cette histoire on aurait pu être sur une fin de vie. Les incidents, les accidents se compliquent et peuvent conduire à la mort.
Le deuxième enseignement c’est l’incapacité pour la patiente de se préserver, de se défendre : Patricia a été incapable de nous faire comprendre la gravité de son état. Seuls les signes cliniques ont parlé.
La psychose est désadaptation à la vie jusqu’à mettre en cause la survie de la personne.
Quand elle évolue jusqu'à un mode cicatriciel, il n’en reste pas moins que le patient demeure défaillant.
Le moi mal structuré, va utiliser des mécanismes de défense qui vont s’avérer fragiles, conduisant à des positions de régression, à des situations de désadaptation, à des ruptures d’équilibre précaire, à des crises existentielles qui prennent très souvent l’aspect de manifestations dépressives avec désinvestissement des activités, fatigabilité, troubles comportementaux, plaintes hypochondriaques, affections psychosomatiques, parfois jusqu’à la décompensation processuelle de l’état psychotique, jusque là stabilisé dans des constructions en faux self.
|
Dr Jean-Paul BOYER
CHI de FREJUS SAINT-RAPHAEL |
|