Malade, délinquant, mineur...

Jeudi, 01 Mai 2003 01:00 G. DUYCK, N. RIBAULT
Imprimer

Lien vers le texte de Jean-Paul BOYER

Lien vers le compte-rendu 1

Lien vers le compte-rendu 2

En janvier 2002, nous avons accueilli Kevin, âgé de 17 ans et demi, en Hospitalisation d'Office, pour des troubles du comportement auto et hétéroagressifs : il s'est lacéré les avant-bras avec du verre puis il a mis le feu à sa chambre, au foyer. Il réside dans ce foyer depuis un mois, sur ordonnance du Juge aux Affaires Familiales.
Selon l'équipe éducative du foyer, la crise fait suite à un rappel à l'ordre, après de nombreux actes délictueux : racket, vols, menaces et trafics et consommation de toxiques, en particulier de cannabis. L'équipe rapporte que Kevin a présenté récemment des états d'agitation semblables, à deux reprises.
Kevin est hospitalisé dans une unité pour adultes, du secteur de son foyer, accueillant 26 lits.
A son arrivée, il se montre très opposant, menace physiquement et injurie les soignants, crie "je ne suis pas un fou". Contenu et mis en isolement, il finit par pleurer tout en déniant toute souffrance.
Le lendemain, il se présente calme et coopérant, acceptant facilement l'entretien. Il accepte de livrer un peu de son histoire, marquée par des violences familiales et des ruptures fréquentes : il est né à la Martinique. Ses parents se sont séparés quand il avait cinq ans, en raison de l'alcoolisme et de la violence de son père. Après la séparation, Kevin reste avec sa mère qui est fragile (elle avait 16 ans quand il est né) et débordée, elle s'occupe peu de cet enfant. Il passe beaucoup de temps dans les rues. A 11 ans, il rejoint son père en France. Cet homme a des conduites addictives (alcool, drogues) et implique son fils en lui demandant par exemple d'aller acheter du Haschich. Durant cette période, il y a une absence totale de cadre et de limites pour Kevin qui erre dans les rues et, consomme du H. Il finit par fuguer et c'est dans ce contexte qu'il est placé dans la région lyonnaise où sa mère s'est installée depuis peu.
Dans l'unité, Kevin semble très triste mais ne peut pas, pour le moment, élaborer autour de sa dépression et de sa souffrance. "Il faut être fort", cacher sa sensibilité, jouer au "caïd". Cependant il fait beaucoup d'efforts pour se contenir lors des frustrations et face aux exigences du cadre de soins. L'amélioration clinique nous permet d'envisager avec Kevin un suivi ambulatoire et un retour au foyer, d'autant plus qu'une hospitalisation trop longue en psychiatrie pourrait être préjudiciable pour ce jeune homme en quête d'identifications. Kevin souhaite retourner au foyer, dit y avoir des amis et s'étayer sur certains éducateurs "cools".
Nous reprenons contact avec le foyer et apprenons avec surprise qu'ils ont demandé la main-levée...
Le clash de Kevin s'inscrit dans une crise institutionnelle et sa réintégration n'est pas souhaitée par l'équipe éducative, dépassée par les troubles de l'adolescent.
La mère, reçue en entretien, est sollicitée pour l'accueillir. Elle vit à présent seule avec 5 autres enfants et ses relations avec Kevin sont difficiles, teintées d'ambivalence. Elle est inquiète, les dernières visites de Kevin se sont mal déroulées, finissant en bagarre et cris. Semblant rassurée par le projet de soins, elle accepte de l'accueillir mais, pendant que Kevin rassemble ses affaires, elle s'enfuit dans le parc !...
La réaction de Kevin est violente, il veut sortir, il s'agite et se retrouve à nouveau attaché en chambre d'isolement....
Son séjour se prolonge, l'équipe est dans l'impasse : l'hospitalisation de Kevin se poursuit, non pas pour des raisons cliniques mais faute de possibilité d'hébergement extérieur avec encadrement socio-éducatif. Kevin ne peut quitter l'hôpital puisqu'il est mineur. Il s'installe alors à l'hôpital et se rapproche de patients psychopathes et "dealers" dont il devient un meneur. Vols, rackets, trafic et consommation de cannabis se succèdent malgré les fréquents rappels au cadre. Kevin se structure sur un mode psychopathique et le service est pris en otage par cette prise en charge qu'il n'a pas les moyens d'assurer et dont il ne peut se défaire. Régulièrement, la réponse est l'isolement avec contention. Dans ces moments-là, il pleure comme un enfant. L'équipe est débordée et clivée, comme l'était celle du foyer. Les demandes se succèdent auprès du juge pour trouver une nouvelle structure d'accueil.
Plusieurs mois plus tard, il finit par quitter l'hôpital, avec un suivi ambulatoire dans l'unité. Il est confié à une nouvelle équipe éducative, mais ce séjour est de courte durée. A nouveau renvoyé, Kevin revient à l'hôpital où l'équipe fait des tentatives de relais intempestifs...Par la suite, et ce jusqu'à présent, de nouveaux séjours hospitaliers se succèdent, marqués par la violence et s'inscrivant dans la durée.

 

Les difficultés dans la prise en charge de ces adolescents sont d'ordre clinique et institutionnel, avec une intrication complexe de ces deux aspects.

Les services de psychiatrie générale sont amenés à accueillir des adolescents de la tranche 16-18 ans, le plus souvent dans un contexte d'urgence. Ces patients peuvent être adressés dans le cadre de :

Ces patients qui arrivent dans les unités sont de plus en plus jeunes, avec une symptomatologie qui cède tardivement, et gardent souvent des troubles de l'adaptation à la réalité après que les symptômes les plus marqués se soient atténués.

Sont accueillis également des patients présentant des troubles du comportement liés à des débuts d'organisation psychopathique chez les adolescents ayant souffert de carences affectives et éducatives, le plus souvent placés en institution.

L'idée du soin ne serait pas de supprimer le symptôme mais de le comprendre avec le patient, au sein de l'institution et d'élucider avec lui quelle souffrance est cachée derrière le comportement apparent. Un soutien relationnel bienveillant, une institution "maternante", contenante et suffisamment bonne devrait permettre le soulagement de la souffrance. D'autre part, il faudrait trouver une attitude entre cette compréhension et la nécessité de fixer des limites au comportement dans un groupe social, le rappel au règlement et à la loi, dans un pôle "paternel".

Une présence importante de l'équipe semble indispensable pour étayer ces patients, ainsi que des réunions d'équipe très régulières, permettant d'élaborer autour des conflits qui éclatent entre les soignants à propos du comportement de l'adolescent. En effet, le vécu des soignants est souvent très différent d'un soignant à l'autre et on peut comprendre que ces conflits externes réels, soient la projection à l'extérieur des conflits internes vécus par l'adolescent.

L'hospitalisation dans un service de psychiatrie crée une séparation physique d'avec les parents, qui permet avec l'équipe soignante de recréer un espace psychique pour l'adolescent, nécessaire à la constitution de son identité. Cependant un travail en lien avec la famille est indispensable.

Plus largement, outre ces temps cliniques, le projet de soins d'un patient adolescent passe par une réflexion d'ensemble de l'équipe soignante pour un projet institutionnel et pour une réflexion concernant le projet individuel, personnel de chaque patient. Des réunions rassemblant les équipes de soin, les enseignants, les équipes des institutions d'accueil et les familles doivent être organisées pour mise en commun. Le plus rapidement possible, une issue doit être prévue à la sortie du service.

Pour Kevin, la problématique institutionnelle a été immédiatement présente et a pu emboliser le travail clinique, à plusieurs niveaux :

Le symptôme qu'il a manifesté a été un geste auto et hétéro agressif. La réponse de l'institution a été celle qui est habituellement apportée aux patients adultes agressifs : d'abord, l'Hospitalisation d'Office, puis l'appel de renfort, la chambre d'isolement, les sangles, que d'ailleurs, il a appris à défaire...

Sorti de la chambre d'isolement, il a été accueilli dans une unité où il y avait 24 autres patients dont la moyenne d'âge était de 30 ans environ. L'équipe de soins ne pouvait pas lui garantir la présence soutenante, éducative et limitante dont il pouvait avoir besoin, faute d'effectif, tout d'abord. En effet, dans un service pour adultes, l'effectif infirmier est de 10 pour environ 25 patients, quand ce n'est pas 27 ou 30...Dans les unités pour adolescents, les effectifs infirmiers sont bien plus importants et une présence rapprochée est assurée. D'autre part, dans un service pour adultes, la réponse de l'équipe n'est pas spécifique : celle-ci n'a pas de formation adéquate et "navigue dans le flou". Les mouvements transférentiels sont forts, on peut avoir pour l'adolescent une attention particulière et une forte empathie, lui conférant un statut "à part". On n'a pas la disponibilité pour les temps d'échange clinique et les conflits et/ou clivages produits par Kevin n'ont pas pu être élaborés. Le résultat a été pour lui un échec cuisant dans la prise en charge, une forte déception de l'équipe face à ses actes délictueux amenant un rejet et des tentatives de relais intempestifs...comme le foyer, au départ.

Dans l'unité, le contact avec les autres patients, s'il permet parfois une dynamique de groupe étayante pour le patient, peut aussi être effrayant : quel processus identificatoire pour l'adolescent confronté à la "folie" ou à la "loi du plus fort" ? En effet, dans le contexte institutionnel et social actuel s'est largement développé un réseau de "dealers" de drogues en tout genre. Kevin s'est totalement intégré à ce réseau, marqué déjà dans son histoire par les conduites toxicomaniaques de son père.

A tous ces dysfonctionnements, il faut rajouter des éléments institutionnels plus larges : Kevin a été victime du bras de fer opposant les services socio-judiciaires et la psychiatrie. Trop fou pour le foyer où il avait été placé par la Justice, il en a été renvoyé et confié à la psychiatrie. Trop délinquant aux yeux de la psychiatrie, il ne relevait plus de l'unité de soins qui a cherché à le confier à sa famille. Trop délinquant pour la famille qui n'a pas voulu le recevoir. Et mineur, ne pouvant être mis à la rue...Kevin est resté à l'hôpital, faute d'hébergement avec encadrement socio-éducatif et il est devenu un des piliers du "deal" hospitalier ...

 

G. DUYCK
Infirmier Diplômé d’Etat
secteur 69G14,
C.A.T.T.P. La Maison de Tassin.

N. RIBAULT
Psychiatre des Hôpitaux
secteur 69G16, CH St Jean de Dieu,
290, route de Vienne, 69008 Lyon.

BIBLIOGRAPHIE

-GIRET.G., BENCHETRIT.B., Nécessité d'hospitalisation dans un service de psychiatrie pour permettre une séparation et la constitution de leur identité chez certains adolescents,
Neuropsychiatrie de l'enfance, 42è année, N° 8-9, Août-Septembre 1994;

-BIZOUARD.P.,NEZELOF.S., VANDEL.P., L'hospitalisation des adolescents en psychiatrie : une expérience de collaboration entre équipes de soins d'adultes et d'enfants.
Pratiques en Santé Mentale, N°1, 1999;

-RAYNAUD.J-P., MORON. P., Prise en charge spécifique des urgences chez l'adolescent.
La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, N°3, Décembre 1996.

-PUIG-VERGES.N., SCHWETZER. M-G., Raptus hétéro-agressif et adolescents : urgence psychiatrique ou urgence psychosociale ?
La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, N°3, Décembre 1996.

-EPELBAUM. C., JEROME. E., FERRARI.P, Préoccupant périple d'un adolescent en danger. Nécessité de structures d'accueil psychiatrique en urgence pour adolescents.
La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, N°3, Décembre 1996.

Mise à jour le Vendredi, 28 Mai 2010 09:52