PROCESSUS IDENTIFICATOIRE

Mardi, 04 Juin 2013 08:10 Rose-Marie Glatz et Jean-Marc Labrosse
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(Cycle de formation 2013, du 3 au  9 juin 2013 à La Roque d'Anthéron 13640)

Thème préparé par: Rose-Marie Glatz et Jean-Marc Labrosse

Notes de l'atelier rédigées par :

 

PROCESSUS IDENTIFICATOIRE

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Nous sommes bien embarrassés avec cette notion dont nous ne pouvons nous passer dans la clinique mais qui est en même temps tellement difficile à définir… Sans doute cela tient-il à la coexistence des deux sens du verbe « identifier », son sens transitif sur le mode actif de reconnaître, ou passif d’être reconnu, avec son sens réfléchi : « s’identifier », se confondre en pensée ou en fait, avec quelqu’un ou avec quelque chose. C’est à partir des difficultés du maniement de ce concept que les successeurs de Freud ont développé des théories nouvelles mettant l’accent sur un sentiment unitaire de la personnalité : l’identité, censé synthétiser tout ce que les processus identificatoires pouvaient avoir d’incohérent.

1. Petit rappel : La notion d’identification ne peut s’utiliser qu’en corrélation avec des mécanismes qui lui sont liés : la projection et l’introjection..

C’est dans une lettre à Fliess du 17 décembre 1896, qu’on trouve le terme d’identification pour la première fois chez Freud. Il parle de l’agoraphobie dont souffre certaines femmes et soupçonne qu’il s’agit d’un mécanisme « de refoulement de la compulsion à aller chercher dans la rue le premier venu, un sentiment de jalousie à l’égard des prostituées et une identification à elles. » Il s’agit d’une identification hystérique que Freud retrouvera également dans des « crampes tétaniques hystériques qui lui apparaissent comme une identification à un mort ou encore lorsqu’il dit dans l’interprétation des rêves chap. IV que, « grâce au moyen de l’identification, les malades peuvent souffrir pour une foule de gens et jouer à eux seuls tous les rôles d’un drame. »

Il précise à ce propos ce que bon nombre d’entre nous semble avoir oublié dans la clinique : il ne s’agit pas d’une imitation mais d’un processus plus compliqué qui répond « à des déductions inconscientes »

La définition de Freud est donc : « L’identification n’est donc pas simplement imitation, mais appropriation sur la base d’une même prétention étiologique ; elle exprime un « tout comme si » et elle a trait à quelque chose de commun qui persiste dans l’inconscient. » et il complète sa définition en montrant comment le procédé de l’identification est au travail dans le rêve pour déjouer la censure et, par l’utilisation du trait commun, aide à la réalisation des vœux infantiles interdits. Il utilise condensation et déplacement par exemple pour former une «  personne-écran »

C’est en 1910, dans son étude consacrée à léonard de Vinci que Freud note que le petit garçon « refoule son amour pour sa mère, il se met lui-même à sa place, il s’identifie à elle et il prend alors sa propre personne comme le modèle à la ressemblance duquel il choisit les nouveaux objets de son amour. »

De procédé psychopathologique l’identification tend à devenir un processus et Ferenczi écrit en même temps (1909) : « Alors que le paranoïaque projette à l’extérieur les émotions devenues pénibles, le névrosé cherche à inclure dans sa sphère d’intérêt une part aussi grande que possible du monde extérieur, pour faire l’objet de fantasmes conscients ou inconscients (…) le névrosé est en quête perpétuelle d’objets d’identification, de transfert ; cela signifie qu’il attire tout ce qu’il peut dans sa sphère d’intérêts, il les « introjecte » il complètera cette définition en 1912 : « Je considère tout amour objectal ( ou tout transfert) comme une extension du moi ou introjection, chez l’individu normal comme chez le névrosé (…) en dernière analyse l’homme ne peut aimer que lui-même, et lui seul ; aimer un autre équivaut à intégrer cet autre dans son propre moi (…). »

Entre 1912 et 1915 des modifications importantes se produisent dans la conception de Freud à propos de l’identification. Avec « Totem et tabou » on voit apparaître l’identification avec le père mort et l’introjection du couple parental qui conduit à la constitution du surmoi, et dans « L’homme aux loups » on repère des identifications partielles aux deux parents qui sont incompatibles et renvoient à la bisexualité possible. Puis en 1915 on passe à l’identification narcissique qui est le substitut de l’investissement érotique dans le deuil car la libido est retirée de l’objet perdu et dans ce cas il ne s’agit plus d’identification partielle par le biais d’un objet commun mais bien d’un objet total, une personne.

Enfin, en 1921 dans « Psychologie des masses et analyse du moi » Freud tente de faire le point : trois modalités apparaissent. « Premièrement, l’identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet ; deuxièmement par voie régressive, elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi ; et troisièmement, elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles. »

Il faut souligner que la troisième modalité servira tous les développements psychanalytiques autour de la sociologie, cette identification devient l’origine du sentiment social qui, d’abord hostile à tout étranger, va s’inverser en lien à caractère positif.

Anna Freud reprendra à son compte le thème des identifications et parlera en particulier de « l’identification à l’agresseur » et de la projection chez les enfants (1946).

Il s’agit d’un stade intermédiaire de la formation du surmoi qui est censé faire partie du processus de socialisation des humains. D’une part il s’agit d’intérioriser les critiques d’autrui en s’identifiant à lui et, d’autre part de repousser à l’extérieur le sentiment de culpabilité qui lui est associé, par un mécanisme de projection. L’enfant joue le rôle de l’agresseur ce qui lui permet d’assimiler l’angoisse ou partie de l’angoisse correspondante de l’événement récemment survenu.

Pour A Freud les sujets bloqués à ce stade se comportent à l’égard du monde extérieur de façon très agressive et le surmoi se comporte envers le monde extérieur avec aussi peu de ménagements que le surmoi du mélancolique envers son propre moi. Elle fait l’hypothèse suivante : « Peut-être ces arrêts dans la formation du surmoi dénotent-ils une prédisposition avortée aux états mélancoliques. » Cette identification à l’agresseur représenterait donc également une phase intermédiaire dans la formation des états paranoïaques, la projection en serait le signe ainsi que la possibilité de la transformation de l’affect : l’amour se transformant en haine dans un tel processus.

2. Et maintenant ?

Si nous revenons à ce que nous disait Freud nous savons maintenant que le processus identificatoire est un phénomène inconscient et pourtant il marque à jamais notre caractère, notre personnalité et notre inscription dans notre société.

A quoi sert de s’identifier à ? Il n’y a pas d’autre but que celui de pouvoir vivre en société après avoir fait l’expérience douloureuse de la séparation (voir le jeu du Fort-da qui est une compulsion à la répétition de cette expérience et qui permet de comprendre le ressort des processus de symbolisation car il faut bien s’approprier l’absence, ou les absences, en accédant au langage grâce auquel l’objet manquant dans la réalité « mondaine » reste présent dans la réalité psychique.) et Lacan d’ajouter que «  l’imago ( la mère) doit être sublimée pour que de nouveaux rapports s’introduisent avec le groupe social, pour que de nouveaux complexes les intègrent au psychisme. Dans la mesure où elle résiste à ces exigences nouvelles, qui sont celles du progrès de la personnalité, l’imago, salutaire, à l’origine, devient facteur de mort. » (in les complexes familiaux dans la formation de l’individu 1938)

La non sublimation serait à l’origine de formes particulières de « suicides très spéciaux qui se caractérisent comme non violents, en même temps qu’y apparaît la forme orale du complexe. » Lacan parle là de l’anorexie mentale, des empoisonnements lents qui caractérisent certaines toxicomanies et des pathologies psychosomatiques liées à la sphère orale. C’est donc la non-résolution du complexe de sevrage qui devient pulsion de mort et conduit à l’auto-destruction. C’est pourtant une stratégie de neutralisation de la tendance à l’agression qui correspond à la création du surmoi. La tendance à l’agression est alors intériorisée, il y a retournement de la violence sur soi par le biais d’un clivage interne fondateur de la subjectivité et apparition d’un sentiment de culpabilité pour remplacer la tendance agressive. Voilà pour la mère !

En ce qui concerne l’identification avec le père mort de « Totem et tabou » elle serait à l’origine de l’interdit du parricide qui n’est pas, selon la thèse de D Robin (Violence de l’insécurité), l’interdit du meurtre car « S’interdire de tuer le père ou, plus largement, un parent a très longtemps été associé à la possibilité et même à la prescription de tuer un ennemi extérieur au groupe de survie. C’est sans doute une des racines les plus profondes de la guerre. Et à défaut d’ennemis extérieurs et de façon complémentaire, les sociétés humaines ont toujours peu ou prou dirigé la destructivité sur un ensemble plus ou moins circonscrit d’ennemis intérieurs, sur des boucs émissaires. A propos de l’interdit du parricide, il est important de relever que la vigueur de l’interdit tient bien évidemment à la force de la tentation de la réalisation de la transgression. Comme l’indique aussi l’interdit de l’inceste, c’est le congénère le plus proche et le plus familier qui suscite logiquement les désirs sexuels et agressifs. C’est bien pour cela qu’il faut en interdire la réalisation tout en la permettant avec d’autres objets. »

Il y aura donc domestication des pulsions ce qui alimentera à son tour l’instance interne de contrôle qu’est le surmoi et qui favorisera le renversement en son contraire de la tendance à l’agression et son retournement sur la personne propre. Autrement dit la transformation de la pulsion se fera au prix d’un sentiment inconscient de culpabilité ou en besoin inconscient d’autopunition c'est-à-dire en sentiment d’insécurité….

Mise à jour le Mercredi, 22 Janvier 2014 15:21