HISTOIRE DU SECTEUR PSYCHIATRIQUE

Dimanche, 29 Mai 2016 07:16 Madeleine BERNARD
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(Cycle de formation 2016, du 29 mai au  4 juin 2015 - CAP FERRET - 33)

Thème préparé par:

Dr Madeleine BERNARD (Psychiatre)

Notes de l'atelier rédigées par :


 

HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR

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Retracer l’histoire de la psychiatrie de secteur c’est en fait se pencher sur le contexte socio-politique de quelques grandes périodes du XXième siècle. Mignot disait en 1975 « je crois qu’il n’y a pas d’inventeur du secteur. Le secteur, il est né d’une certaine conjoncture, d’évènements ; il est apparu comme une certaine nécessité historique, ce n’est pas quelqu’un qui l’a inventé dans sa petite tête … »

Je vous propose donc un retour en arrière d’une centaine d’années et de parcourir certaines grandes périodes du XXième siècle en y associant quelques grandes figures qui ont marqué la psychiatrie car c’est ça l’histoire du secteur : des dates et des hommes (et femmes … mais fort peu !).

Les années 20 et la médecine sociale. Edouard Toulouse et Henri Rousselle

Au début des années 20, au sortir de la 1ière guerre mondiale, le monde médical et politique est très occupé par la lutte contre les grands fléaux sociaux que sont la tuberculose et des maladies vénériennes (pour mémoire, la pénicilline est découverte en 1928 mais ses effets thérapeutiques ne seront appliqués chez l’homme qu’en 1943). Edouard Toulouse, né à Marseille mais nommé en 1889 à l’internat des « Asiles de la Seine », fonde en 1920 la Ligue d’Hygiène Mentale et obtient en1921 d’Henri Rousselle, Conseiller Général de la Seine le principe de la création « à titre d’essai » d’un « service ouvert pour le traitement des psychopathes » (on sort donc de l’asile). Ce service qui voit le jour en 1922 comporte des lits d’hospitalisation libre, un dispensaire , un service social, des laboratoires de recherche et l’organisation d’un enseignement. En 1926 cette institution prendra le nom d’Hôpital Henri Rousselle.

La guerre de 1939-1945. St Alban

Avec le Front Populaire en 1936 apparaissent ceux que Bonnafé nomme « les hygiénistes de combat »(cf Recherches p 63-64) : Dr Robert-Henri Hazemann chef de cabinet du ministre de la santé Henri Sellier, Dr Aujaleu Directeur de l’hygiène sociale puis Directeur General de la Santé, Dr Duchêne…A partir de 1942, l’OPHS (Office Public d’Hygiène Sociale) créé vers 1926/27 sur un modèle américain pour s’occuper de la tuberculose et des maladies vénériennes, va, sous l’impulsion de Hazemann accueillir les consultations «d’hygiène mentale » et, au début, s’occupera surtout des enfants.

Avec la guerre, un certain nombre de jeunes psychiatres parisiens dont Bonnafé cherchent à quitter Paris. Bonnafé se retrouve à St Alban qui depuis sa création (en 1821) a été un hôpital particulier. En 1941, à St Alban, Bonnafé retrouve Tosquelle qui y est arrivé en 1940 venant d’Espagne. Il instaurent un mode de travail collectif mêlant psychiatrie et politique, travail dans l’hôpital et en dehors. C’est le creuset de ce qui va devenir la psychothérapie institutionnelle .

La Circulaire du 15 mars 1960. Melle Mamelet, Dr Aujaleu

Après la guerre, les hôpitaux psychiatriques sont à moitié vides, leurs malades ayant été décimés. Les jeunes psychiatres se réunissent autour de l’idée de défendre la situation des malades mentaux et, en même temps, des médecins d’asile. Ils se retrouvent autour d’un noyau : Daumézon, Bonnafé, le Guillant, Fouquet, Duchêne, sous la houlette de Ey. Ils organisent le 1ier syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques et les journées psychiatriques de 45 aux cours desquelles s’agitent de nombreuses idées et où apparait pour la 1ière fois la notion de secteur. Des expériences de prises en charges ambulatoires se multiplient mais elles sont éparpillées sur le territoires et très diverses, ne relevant que de la personnalité de celui qui les conduit. En fait vers la fin des années 50, c’est l’état qui va prendre les choses en mains en raison, comme pour les astres, d’une conjonction favorable : Le Dr Aujaleu, médecin militaire, est directeur général de la santé, il a « le culte de la médecine publique mais ne trouve qu’en psychiatrie des gens pour l’entendre » ; il a pour adjoint Mr Jean, jeune énarque « intelligent et dynamique » et enfin Melle Mamelet, fille d’un directeur d’hôpital psychiatrique et chef du bureau des maladies mentales. C’est Jean et Mamelet qui sont totalement « conquis par l’idée du secteur ». Les psychiatres du syndicat sont, de fait, leurs conseillers techniques. (cf Mamelet dans Recherches p. 188)

Sort donc une « circulaire relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales » dont les dispositions ne sont qu’indicatives et ne s’imposent pas : « la présente circulaire a pour but de définir la politique à suivre dans chaque département, au cours des années à venir, pour permettre la mise en place d’un dispositif mieux adapté et plus efficace que jusqu’à présent, et constituant véritablement une organisation de lutte contre les maladies mentales. Ce dispositif consiste essentiellement en un certain nombre de secteurs géographiques, à l’intérieur de chacun desquels la même équipe médico-sociale devra assurer pour tous les malades, hommes et femmes, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance de post-cure. ». Cette circulaire proposait des « normes » indicatives quant au nombre de lits hospitaliers, au plan de l’organisation générale et à la mise en place progressive des intersecteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Ensuite différents textes, circulaires ou arrêtés, vont donner progressivement forme aux modes d’interventions sur le terrain, au statut juridique et économique des hôpitaux psychiatriques et au statut des médecins. (loi de Juillet 68, circulaire de 1969 sur la mixité des unités de soins, décret de 1970 sur le statut des praticiens, circulaire de 1971 sur la carte sanitaire, arrêté de 1972 fixant les modalités du règlement départemental de lutte contre les maladies mentales, l’alcoolisme et les toxicomanies …)

Début des années 1970. L’implantation préalable. Bonnafé et Corbeil

Après la circulaire de 1960, le « corps des psychiatres » (qui s’appellent encore Médecins des Hôpitaux Psychiatriques dans les textes ) ne s’est pas pour autant passionné pour le secteur. La majorité était même plutôt contre. Quelques départements seulement, ceux dans lesquels travaillaient les psychiatres actifs dans le syndicat et chevilles ouvrières de la circulaire, se sont lancés dans l’expérience : Paumelle dans le XIIIe (avec le support d’une Association Loi de 1901), Racamier, Chaigneau, Moreau dans l’Aisne, Bailly-Salin en Savoie, peut-être d’autres que j’oublie.

En fait la dynamique n’a été relancée que par la « carotte de l’argent » : un décret de mars 70 place les établissements psychiatriques en 1ière catégorie (avec l’amélioration considérable du salaire des médecins qui est afférente à cette catégorie) à la condition qu’ils soient associés à un secteur. Les médecins des hôpitaux psychiatriques porte alors le titre de Psychiatre des Hôpitaux et le « cadre unique » éclate avec création de 2 échelons hiérarchiques : les chefs et les assistants/adjoints. En quelques années l’ensemble du territoire national va se « sectoriser ». Il faut alors créer des postes de psychiatre et construire des lits d’hospitalisations à la hâte.

C’est dans ce contexte que s’insinue l’idéologie Bonnaféenne de l’implantation préalable, peu d’expériences auront la radicalité de Corbeil. Les 1ières années de notre association bruissent encore des joutes homériques entre l’implantation préalable pure et dure à la Bonnafé et son corollaire le secteur sans lit (dit le secteur 100 lits …dans le privé !) et les partisans du rattachement des secteurs aux hôpitaux généraux (il faudra attendre 20 ans pour qu’une circulaire, en 1990, établisse la place de la psychiatrie à l’hôpital général) avec un nombre de lits réduit par rapport aux services des hôpitaux psychiatriques. Pour les plus jeunes, rappelons les principes de l’implantation préalable :  « la programmation des équipements d’hygiène mentale doit être … subordonnée au procès de travail thérapeutique, dont elle constitue une phase. L’agent de la programmation, c’est l’équipe de secteur elle-même, seule capable formuler en termes quantitatifs et qualitatifs les besoins d’équipement : car le sujet du besoin, ici, ce n’est plus « les psychiatres », ni une population indifférenciée et privée de parole, mais le dispositif d’hygiène mentale lui-même, en tant qu’inséré dans le milieu vivant qui en est l’usager. »

Loi des 25 juillet et 31 décembre 1985

Elle légalisent enfin le secteur comme organisation de la psychiatrie publique au plan national et l’introduisent dans la loi de réforme hospitalière de 1970 pour son financement par la sécurité sociale dans le cadre de la dotation globale.

Circulaire du 14 mars 1990 redéfinit la politique de secteur et la place de la psychiatrie à l’hôpital général

La loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière va avoir un retentissement insidieux mais profond sur le fonctionnement des secteurs de psychiatrie. En effet cette loi crée le service de soins infirmiers dont la direction est confié à un infirmier général membre de l’équipe de direction de l’établissement. Ainsi les infirmiers passent subrepticement d’une autorité médicale à une autorité administrative et il y aurait aussi beaucoup à dire sur la place des infirmiers, en particulier à travers les CEMEA, sur les différentes périodes que je viens de balayer

J’arrête là cette histoire de la psychiatrie de secteur car les textes ultérieurs organiseront plutôt la « déconstruction » du secteur : certes cette organisation reste la base de l’organisation de la psychiatrie française mais les pratiques, à l’intérieur de cette organisation, se sont considérablement modifiées par rapport à l’idéologie d’origine, en particulier depuis le début des années 2000, sans aborder le projet de Groupements Hospitaliers de Territoire pour lesquels je laisse la place aux jeunes pour poursuivre l’Histoire de la Psychiatrie de Secteur.

Madeleine BERNARD

Le Lavanchy, Mai 2016

 

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Mise à jour le Mardi, 07 Juin 2016 12:32