Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Clivage chez les tueurs en série

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Cycle de formation 2023, du 5 juin au 9 juin 2023, Saint Maurice d'Ardèche (07200)

Thème préparé par le DR Eloïse Provoost

 


 

 

Le clivage chez les tueurs en série

Dr Eloïse PROVOOST

Journées de formation Psychiatrie de secteur à l’hôpital général

8 juin 2023


  1. Définition et origine : Tueur en série

« Serial killer »

FBI (Robert Ressler) 1970

Tue successivement au moins trois personnes, avec des intervalles libres (mass murderer), de sang-froid, sans mobile apparent1

  1. Psychopathologie : Tripôle à pondération variable1


  1. A. Pôle psychopathique

Psychopathie : personnalité anti sociale (DSM 5), personnalité dyssociale (CIM 10)

2 – 3% de la population générale


Diagnostic and statistical manual of mental disorders. Americain Psychiatric Association. Fifth edition: American Psychiatric Publishing, 2013 2



Article de Majois V et al., Psychopathie et son évaluation, janvier 2011, Elsevier Masson 3





D’après le Dr Zagury1 :

Instabilité affective

Variabilité de l’humeur et des émotions

Impulsivité

Appétence pour les drogues et l’alcool

Absence de conscience morale, de culpabilité, d’empathie pour autrui

Projectifs (attribuent aux autres ou au destin l’origine de leurs échecs)

Délinquance utilitaire, antécédents de vols, cambriolages, violences volontaires

« Leur capital compassionnel est comme calciné »

Carences affectives et éducatives (discontinuités) -> absence de sentiment de continuité interne



D’après Pierre Lamothe 4 :

« Il s’agit d’une classe particulière des états limites dont le fonctionnement passe par le registre du comportement et dont le mode de relation d’objet comporte un appel particulier à la loi » 4

« On retrouve souvent une insuffisance de la maintenance, de la caresse, des gratifications qui aboutissent à une insécurité narcissique et à la nécessité d'une autonomie trop précoce, aussi bien sur le plan psychique que sur le plan psychomoteur » 4

« Le psychopathe adulte a été un enfant sur-stimulé par rapport à ses capacités de maîtrise de l'excitation : il n'a pas été protégé de l'excitation des adultes qu'il a partagée dans une promiscuité physique et psychique, ni de sa propre excitation pulsionnelle. Le père est absent ou apparaît épisodiquement de façon grandiose dans des attitudes qui ne transmettent pas la possibilité d'intégrer une loi exigeante mais aussi protectrice. Les discontinuités de l'investissement maternel conduisent à une forme particulière de relations abandonniques rappelant ce qui a pu être décrit sous le nom d'attachement « ambivalent » avec une attaque permanente des objets qui sont en même temps indispensables ou d'attachement « désordonné » avec des actes erratiques et mise en danger de soi-même et des autres. Sitôt nouée, la relation positive ou négative est mise à l'épreuve jusqu'à la rupture parce qu'elle éveille par son existence même les mécanismes d'excitation que l'enfant a connu répétitivement dans le passé. Le psychopathe fait la preuve par l'épreuve que toute relation ne peut qu'aboutir à une rupture, avec un vécu de « dérangement affectif » tel que mieux vaut la certitude amère d'une relation interrompue que la douloureuse incertitude de la possibilité qu'elle s'interrompe. » 4



  1. B. Pôle pervers

Selon Racamier 5 :

« Défense spécifique contre le deuil et le conflit interne » 5

Mouvement pervers narcissique : « façon organisée de se défendre de toutes douleur et contradiction internes et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, tout cela aux dépens d’autrui et non seulement sans peine mais avec jouissance. » 5

Perversion narcissique : « aboutissement et destination du mouvement pervers » 5

Définition résumée : « façon particulière de se mettre à l’abri des conflits internes en se faisant valoir aux dépens de l’entourage » 5

« L’objet est traité non pas comme une personne, ni comme une amulette, mais comme un ustensile. C’est pour la même raison profonde que la perversion narcissique la plus accomplie est toute dans l’action et très peu dans le fantasme : à quoi bon le fantasme, lorsqu’il n’y a pas véritablement d’objet ? » 5

« Le pervers narcissique obéit à deux impératifs : ne jamais dépendre d’un objet ; ne jamais se sentir inférieur » 5

« Cet objet de la perversion narcissique est interchangeable : rien de plus et rien de moins qu’une marionnette. […] Il n’est pas objet libidinal, même pas objet de haine, et surtout pas d’identification proprement dite. […] Il n’est supportable que s’il est dominé, maltraité, sadisé, certes, et par-dessus tout maîtrisé. » 5

Zagury explique les propos de Racamier : « C’est la déroute de l’autre, au profit d’une survalorisation narcissique puisant sa source dans la mégalomanie infantile » 1

« L’acte contribue au colmatage du clivage du Moi, ce qui permet au sujet, délivré de toute gêne et de tout souci, d’offrir à l’observateur médusé l’air de la plus parfaite innocence » 1



Zagury reprend les propos de Balier à propos de la « perversité sexuelle » dans son ouvrage Psychanalyse des comportements sexuels violents (1996)

« Le recours à l’acte sexuel violent et au clivage est destiné à éviter l’effondrement psychotique. » 1

« Caractère crucial du passage d’une passivité insupportable, vécue comme l’intrusion de l’autre en soi, à une démarche active d’emprise : après l’acte, c’est comme si le sujet se réveillait et reprenait le cours de sa vie habituelle. » 1

« Ce qui est central, ce n’est pas le plaisir, encore moins le plaisir sexuel, mais la recherche d’une toute-puissance qui sauve de la menace d’anéantissement. »1

« La toute puissance narcissique se déchaîne dans la destructivité. En deçà de la mise en place des pulsions, des traumatismes psychiques ont créé une menace d’anéantissement qui est restée gravée et qui agit dans certaines conditions, comme un attracteur dont il faut se dégager à tout prix. Fragilisés, ces hommes n’ont pas accès à ce que la plupart des gens connaissent, c’est-à-dire des moments dépressifs. Ils ont l’angoisse terrifiante d’un effondrement total. Leur seule défense, c’est l’attaque. Chaque fois que j’évoque la toute-puissance, il faut se souvenir qu’elle est adossée au néant. » 1

« Le petit enfant n’investit le monde extérieur d’aucun intérêt. Il est essentiellement tourné vers lui-même. Il s’autosatisfait. A ce stade, on ne peut parler ni d’amour, ni de haine, mais d’indifférence. L’extérieur, l’autre, le haï, sont au début tous identiques. Et c’est le surgissement de l’autre qui fait apparaître la haine. Le Moi s’auto-affirme dans la haine, et l’indifférence, est, pour Freud, une forme spéciale de haine.

Ce qui caractérise les tueurs en série, c’est l’absence de haine consciente à l’égard de la victime, et tout se passe comme s’ils vivaient à l’envers le moment de surgissement de l’autre dans la scène du monde […]. Le monde entier est réduit à l’autre, et le supprimer c’est retrouver la jouissance de ce temps où le sujet était le monde entier. […] Il est seul au monde, dans la jouissance absolue. Il est le monde entier. Il flotte. Rien n’existe en dehors de ces retrouvailles avec son narcissisme primaire. »1

« Le propre [de la perversion narcissique] est de transférer sur l’autre ses conflits primitifs et dans le même temps de lui dénier toute existence, tout statut d’humain : l’autre est chosifié, dépersonnalisé, pour n’inspirer aucune empathie. La victime est un objet anonyme qui permet au tueur toutes sortes de projections archaïques. […] Le moindre sentiment de culpabilité ébrécherait sa muraille défensive : la perversion narcissique lui permet de lutter contre le risque d’effondrement. […]

La passivité se transforme en activité, la détresse en jouissance, l’impuissance en toute-puissance. Le sujet n’est plus menacé par la destruction, il détruit. Il n’est plus dépendant de quiconque, il soumet une victime entièrement à sa merci. Il n’est plus un être fragile, abandonné, mais omnipotent, indestructible et immortel. Ce mouvement défensif utilise la victime pour reconstituer un sentiment unitaire et pour renforcer le mécanisme de clivage du Moi. Le pervers narcissique se sert des autres, notamment de ses victimes, comme d’un ustensile. » 1



  1. C. Pôle psychotique

= angoisse sous jacente ou menace d’effondrement

« Un sujet capable de lutter contre la psychose n’est pas un malade mental. Il recourt à la défense perverse et à la fuite en avant psychopathique contre l’envahissement délirant et la perte de contact avec la réalité » 1

« Quand le risque psychotique est présent potentiellement, voire structurellement, mais qu’il ne trouve pas son prolongement dans le délire et dans la perte de contact avec la réalité, on évoquera un pôle psychotique, non la maladie mentale » 1



  1. D. Clivage

D’après Zagury 1

« Le clivage vise à éradiquer tout conflit interne »

« Curieuse impression d’avoir affaire à des êtres étonnamment lisses qui ignorent l’ambivalence, le doute, le conflit interne »

« Puissant mécanisme de défense qui aboutit à la coexistence au sein du Moi de deux attitudes psychiques à l’endroit de la réalité extérieure : l’une tient compte de la réalité ; l’autre la dénie »

Traumatisme chez le petit enfant. « Cette expérience, encore une fois éprouvée, mais trop précoce et trop massive pour être constituée comme expérience du Moi, engendre un clivage : une partie est dotée de représentations et une autre ne contient que des traces perceptives ».

« Lorsque le clivage est en péril, il ne reste qu’une issue : répéter les traumatismes du lointain passé en les inversant »

« C’est la nécessité de scinder pour sauvegarder qui est à l’origine du clivage, ce mur interne qui protège mais qui ampute »

« Le Moi conscient sait bien qu’ils ont commis ces actes, mais ils ne s’en sentent pas coupables »



  1. E.  Matricide déplacé

Idéalisation forcenée de l’image maternelle

« Les meurtres en série ne sont pas la conséquence de la haine consciente de la mère, mais de la haine inconsciente, clivée et agie de l’image maternelle » 1



  1. Cas clinique n° 1 : Guy Georges

« Le tueur de l’Est Parisien »

7 meurtres de 1991 à 1998

Vidéo de France 3 Pays de la Loire du 07/09/2021 : Décryptage. Angers : Guy Geroges, l’enfance ligérienne du tueur en série 6

  • Pôle psychopathique

« L’abandon, les carences de tous ordres et l’incapacité de se constituer une identité ont entrainé chez lui l’édification de déformation défensives extrêmement puissantes » 1

« Pour survivre, il récuse farouchement la déréliction liée à l’abandon primaire » 1

« Son obstination dans le déni vise à gommer toute marque psychique de cette blessure et témoigne de traumatismes désorganisateurs précoces massifs » 1

  • Pôle pervers narcissique

« La jouissance du criminel n’est pas liée à la souffrance occasionnée ou au plaisir d e donner la mort, mais à la constatation jubilatoire de sa propre indifférence face à la terreur qu’il transmet » 1

« Pour compenser un vide identitaire vertigineux, pour solidifier une personnalité friable, il a édifié une carapace caractérielle et un blindage défensif massif » 1

  • Angoisse de néantisation

« Il tue pour éviter de se laisser envahir par l’angoisse » 1

  • Clivage

« Le contraste entre son aisance qui frise la convivialité et la violence de ses crimes indique à coup sûr le clivage du Moi » 1

« On balance sans cesse entre un pic de normalité apparente et la monstruosité abyssale de ses forfaits » 1

« Guy Georges appartient manifestement à la catégorie des tueurs en série organisés. C’est un psychopathe en proie à un mécanisme de défense archaïque qui vise à maintenir l’unité de son Moi en tuant l’autre. Il ne dispose pas d’autre moyen pour lutter contre l’angoisse sous-jacente d’une dissolution. C’est ce que le psychiatre Claude Balier a théorisé en termes de ‘’recours à l’acte’’ qui permet d’utiliser le clivage comme un moyen de survie, comme un barrage conte ma menace d’une néantisation. » 1



  1. Cas clinique n° 2 : Michel Fourniret

« Le plus abouti d’entre eux »1

« Parmi eux, c’est le plus manipulateur, dans une dialectique du dominant et du dominé » 1

Trois condamnations pour agressions sexuelles : 1967, 1984, 1987.

Reconnu coupable de 7 meurtres entre 1987 et 2001

Condamné en 2008 à la perpétuité incompressible pour ces meurtres

2e condamnation à la perpétuité en 2018 pour assassinat crapuleux lié au « gang des postiches »

Fantasme de la virginité « La logique même du fantasme implique que ce qui a été ‘’adoré’’ dans la mise en scène soit détruit dans la mise en acte ». 1

  • Perversion

« Son monde ignore la demi-mesure : il y a des dominants et des dominés, ou plutôt il y a ceux qui écrasent et ceux qui sont écrasés. Il ne connaît que la relation de force. Il se donne toujours le beau rôle : celui qui n’est duper de rien. Se considérant comme un expert en manipulation, il se targue de voir venir la manœuvre de l’autre ». 1

« Il nous réduit à perdre notre substance et à occuper la seule place qu’il assigne aux autres : celle de ses obligés, ses dominés, ses écrasés ». 1

« Tous ces moments de malaise existentiel ont progressivement disparu. Il les a surmontés de façon à se transformer en bloc cimenté de perversité, sans faille à ses yeux » 1

« Ce qui ne fait aucun doute, c’est sa jouissance de leur terreur et de leur humiliation […]. Plus la victime est terrorisée, plus l’agresseur est tout puissant » 1

  • Clivage

« C’est son immense perversité qui lui permis d’échapper à la folie psychotique » 1

« Il aurait pu devenir un mystique ou un délirant eh bien non, il est devenu un grand pervers »1

« Il s’est sauvegardé de la folie et il a maintenu la cohésion de son Moi au prix d’une extrême perversité ». 1

« Ce qui domine en lui, c’est la perversion narcissique comme défense contre l’envahissement délirant. Fourniret s’est évité la maladie mentale « grâce » à la cicatrisation perverse » 1

« Il a gagné la lutte contre la folie au prix d’une perversité peu commune ». 1

  • Psychose

Citation des experts en 1986 : « les actes commis par Michel Fourniret étaient rationalisés à l’extrême dans une dimension imaginaire confinant à une élaboration délirante ». Mais ils excluaient l’hypothèse du délire car l’intégrité du Moi demeurait conservée. 1

  • Idéalisation de la mère

« L’origine sexuelle, perçue par lui comme abjecte, est récusée au profit d’un fantasme d’engendrement par une mère demeurée intacte comme une image intemporelle, une icône » 1

  • Précision sur le caractère sexuel de ses crimes

« Les crimes de sexe ne concernent pas – ou peu- la sexualité elle-même. L’imaginaire sexuel de Fourniret est nul. Le sexe, entre dégoût et gros câlin, ce n’est pas ce qui le meut. Tout son univers est une récusation radicale du sexuel au profit du narcissique dans sa double dimension d’autocontemplation et de de destructivité » 1



  1. Cas clinique n° 3 : Ted Bundy

Serial killer américain

Crimes de 1973 à 1978

Documentaire Netflix : Ted Bundy : Autoportrait d’un tueur. Mini-série, 2019 7

  • Biographie

Traumatismes désorganisateurs précoces importants.

Traces traumatiques extrêmement puissantes, avant l’acquisition du langage.

Diplôme de psychologie.

Etudiant en droit, pas très brillant mais pas si mauvais.

  • Pôle psychopathique

Difficultés à s’intégrer dans son enfance, « il aimait effrayer les gens, faire des pièges dans les bois ». 7

Echelle de Hare : « charme superficiel », « absence de remord et de honte », absence d’empathie, absence de conscience morale.

  • Pôle perversion narcissique

Renversement de situation, il passe du traumatisme subi au traumatisme infligé. Il n’est plus la victime mais à l’inverse celui qui soumet, qui détruit et il en tire un vécu de toute puissance. Il a le droit de vie et de mort sur l’autre.

Ted Bundy abusait de ses victimes, y compris après leur mort.

  • Pôle psychotique

Lutte contre l’angoisse de néantisation.

  • Clivage

Avec sa première petite amie Diane puis avec Liz

« C’était le type de mec qu’on voulait comme beau-frère » 7

« Ted s’intégrait, peu importe où il était » 7

Il aimait la cuisine et les voitures, va même jusqu’à travailler au sein de la police.

Il peut parler de ses crimes lorsqu’il emploi la 3e personne.

Il sait ce qu’il a fait mais ne le vit pas comme son acte.

On constate une destruction du moi précoce en se coupant de ses attaches, qui permet au sujet de s’organiser de façon pseudo-normale.

« Il y a une partie de moi qui m’échappe et qui est possible de commettre les pires horreurs » 7

Il y a une absence d’ambivalence.

  • Les meurtres

Son premier crime va lui faire ressentir un « éprouvé subjuguant », une émotion très forte qu’il va avoir envie de reproduire, avec une jouissance.

Facteurs déclencheurs : rupture avec sa petite amie « j’avais ce sentiment de rejet qui ne provenait pas seulement d’elle mais de tout »7 (-> rejet -> bascule -> côté pervers)

Il y a une économie de l’agressivité. Toute la charge de l’agressivité est contenue dans un espace qui va s’exprimer en comportement et qui n’est pas verbalisé.

La sexualité n’est pas le moteur des crimes.







Bibliographie :

[1] Zagury D, L’énigme des tueurs en série, Plon, 2008

[2] Diagnostic and statistical manual of mental disorders. Americain Psychiatric Association. Fifth edition: American Psychiatric Publishing, 2013

[3] Majois V et al., Psychopathie et son évaluation, Elsevier Masson, janvier 2011

[4] Lamothe Pierre, Prise en charge de la psychopathie, Audition publique de la HAS 2005

[5] Racamier Paul-Claude, Les perversions narcissiques, Payot, 1987

[6] Vidéo de France 3 Pays de la Loire du 07/09/2021 : Décryptage. Angers : Guy Geroges, l’enfance ligérienne du tueur en série

[7] Documentaire Netflix : Ted Bundy : Autoportrait d’un tueur. Mini-série, 2019

Mise à jour le Jeudi, 15 Juin 2023 17:25  

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