Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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L'informel en psychiatrie (3/3)

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(Cycle de formation 2014, du 2 au  7 juin 2014 - VERS 46090)

Thème préparé par: Dr PARRIAUD MARTIN Anne – MUYARD Françoise ISP

Notes de l'atelier rédigées par :


L'INFORMEL EN PSYCHIATRIE

 

 

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L'Unité de jour : l'informel institué
Vers. juin 2014  . Françoise Muyard (scribe de l'unité de jour)

Si l'informel représente une part non négligeable du travail de tout soignant en psychiatrie, nous bénéficions, pour notre part, d'un outil de travail dont c'est la finalité avouée :
L'Unité de Jour (nouvellement baptisée "espace Auguste Charnay" d'après un infirmier "célèbre localement" pour son implication dans la mise en place de l'ergothérapie, dans les années 50) est une unité fonctionnelle autonome qui accueille à la journée, les patients en hospitalisation complète ou séquentielle des 2 unités d'entrée du secteur.
Son principe directeur est l'absence de toute prescription ou indication médicale.
Chacun peut passer, s'installer, repartir au fil de la journée.
il n'y a pas d'activités imposées.
Au delà d'une référence, évidente pour nous à la psychothérapie institutionnelle, le fonctionnement de l'UJ pourrait aussi s'apparenter à la théorie élaborée pour l'enfant par Emmy Pickler sur "l'activité auto induite" : un environnement stable dans lequel une équipe restreinte (3 infirmières) favorise, par le jeu libre et la verbalisation, une restauration du narcissisme et l'accès à une autonomie satisfaisante.

Le cadre

- un espace géographique sécurisant : lieu coloré, chaleureux, équipé de meubles disparates, de plantes vertes, décoré d'oeuvres collectives, et qui peut évoquer une grande salle de jeux ou une maison de vacances. Un lieu pour se détendre, se récreer (re-créer) .
L'instauration d'espaces différenciés (cuisine, atelier, jardin, "coin-salon", "coin-café", grande table d'activités ou de discussion) se veut propice à la circulation...et permet de régler la distance avec les soignants ou avec le groupe.
-un cadre temporel instaurant, par des horaires fixes, une permanence rassurante, mais aussi une discontinuité qui crée une temporalité différente, un écoulement du temps opposable au "présent immuable" de l'hospitalisation.

Le contenu

Le quotidien s'organise autour de l'accueil et de la disponibilité de soignants en "position de connivence" (Daumezon).
L'Unité de Jour se décline comme un espace de liberté dont la seule contraine est le respect des personnes et des lieux.
Il s'agit ici de soigner plus par la présence que par la fonction, de développer le plaisir de "l'être ensemble", du "vivre avec l'autre", de tisser une" relation d'ordre microsociologique" (Tosquelles), de prendre soin plutôt que de soigner.
Six dames autour de la grande table en chêne.
Geneviève aimerait qu'on lui fasse une "manucure". le rituel s'instaure : d'abord le lavage des mains et le brossage des ongles, puis le cérémonial du soin esthétique, bulle d'intimité à deux, où une conversation légère se noue à mi-voix sous le regard attentif du groupe, tandis que les ongles sont égalisés, limés, polis.
Moment crucial : le choix du vernis.
Chacune y va de son avis : "ce rouge t'irait bien", "tu ne veux pas plutôt du clair?"
Geneviève opte pour un rose flashy du plus bel effet.
Zohra, décidemment, aime beaucoup ce bleu électrique...et si elle osait ? Qu'à cela ne tienne : nouveau rituel de lavage brossage...etc...pendant que Nadia espère silencieusement, un flacon "corail" à la main.
Une heure plus tard, 60 ongles colorés vont s'exhiber aux collègues des services.
"Vous savez, j'ai gardé les mains posées "comme ça" pendant tout l'entretien avec mon médecin ; elle a dit que c'était joli".
La journée se déroule au gré des passages et des présences. Le groupe s'apprivoise, se lie, se défait, se reforme. Une histoire collective se tisse.
il y a toujours un puzzle en cours, des magazines, des mots fléchés à disposition.
Un jeu est commencé ? l'émulation fonctionne : le placard à jeux est pillé. Le scrabble s'installe à table à côté de l'échiquier qui côtoie les triominos, tandis que la conversation se généralise au dessus des parties en cours : le repas était en retard hier ; l'eau de la douche était froide ; la permission s'est bien passée ; "tu as de la chance, toi, de partir en perm".
Temps fort de la journée : les boissons préparées 2 fois par jour, à heures fxes, par les patients.
Moment apprécié, mais éprouvant : la sociabilité s'efface au profit des pulsions de "remplissage" ou de l'exigence impérieuse, réduisant la relation à une fonction nourricière ou à l'obtention immédiate de ce qui est attendu..
Mourad vient et revient à de nombreuses reprises dans la journée, posant, quelque soit l'heure,  la même question récurrente " y'a du café ?". Passant éternel, il arrive maintenant à se poser ponctuellement au bord du groupe...le temps d'un café..., mais se montre incapable d'envisager d'autres centres d'intérêts, ce que nous finissons par lui faire remarquer " vous savez qu'on peut faire plein de choses, ici ?".
Message entendu ? : A son passage suivant, Mourad va s'installer confortablement dans un fauteuil, pour taper 10 minutes sur un "djembé", et rit de se prendre pour un artiste. Quelque jours après, il prendra plaisir à un spectacle musical proposé par des intervenants extérieurs, et restera tranquillement assis avec nous après le départ des artistes.
Alors, on le fait ce café ?

De temps en temps, on décide d'un atelier ponctuel qui va rhytmer quelques semaines : la fabrication d'un patchwork, d'un totem, d'un journal, d'une fresque...oeuvres qui pérennisent l'histoire collective au delà des départs et des (ré) hospitalisations, par le partage des instants, des émotions, puis de souvenirs qui survivront à l'absence.

la mise en sens

L'alternative de l'UJ offre la possiblité de maîtriser sa relation à l'autre, à son rhytme, et sans injonction de soin préalable, mais ne peut exister que dans la continuité du soin "classique".
Tout informel qu'il soit, notre travail ne peut qu'être dépendant de la psychopathologie. Nous avons à faire à des Sujets, mais il n'est pas question d'ignorer ou de banaliser les troubles, souvent aigus, dont ils souffrent.
Une reprise clinique et un échange permanent avec les unités de soin sont donc indispensables
.
- l'élaboration clinique :
Nous revendiquons une clinique singulière, basée sur la relation à l'autre, le positionnement dans le groupe, la capacité ou non, de mener à bien, et avec plaisir, une activité banale.
Petit garçon, Jean René aidait son grand père au jardin. Le désherbage du potager de l'UJ le ramenait à cette période heureuse de son enfance, dont il nous livrait de grands pans, durant cet effort partagé. L'histoire familiale ainsi reconstituée nous a permis de mettre du sens sur les mouvements transférentiels envers tel ou tel autre soignant, et de mieux appréhender les facteurs déclenchants de ses épisodes de persécution.
Jean René a changé de secteur mais il continue de passer, de loin en loin, pour donner de ses nouvelles.
Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de formuler l'équivoque de notre rôle, et l'inconfort qui peut en résulter. Et c'est parce que notre travail se situe du côté de l'informel, que nous avons besoin d'une reflexion rigoureuse, instituée par des temps d'échange clinique hebdomadaires, avec notre psychiatre référent.

- l'articulation avec les équipes de soins :
Le plus souvent, nos observations sont concordantes ( lorsque une dame maniaque reste assise une heure à l'unité de jour pour colorier un "mandala", les relèves de nos collègues font état de son apaisement en service), mais il arrive que les patients jouent des choses différentes sur ces 2 lieux distincts :
Benoit est hospitalisé sous contrainte, dans un contexte d'angoisse majeure et d'incurie importante, et oppose mutisme et apragmatisme à toute tentative de relation.
Lorsqu'il trouve l'UJ, au hasard de ses déambulations, il se présente figé, hagard, les cheveux collés de sueur, la barbe hirsute, refusant jusqu'au contact visuel.
Il passe..., marquant un bref arrêt devant la table de ping pong.
Les jours suivants, il revient tourner autour de cette table, prend une raquette, la repose, finit par répondre d'un hochement de tête à nos salutations, puis par accepter un échange de balles, toujours aussi muet et impénétrable.
Il faudra quelques jours encore pour que Benoit s'autorise à "éprouver"lors des matches, puis arrive à s'asseoir en notre compagnie une fois la partie terminée, pour finalement établir un dialogue, limité mais construit.
C'est à ce stade, que parallèlement, il pourra investir ce temps d'hospitalisation, prendre soin de son apparence physique, et renouer des relations familiales.  
Bien sûr, cette évolution aurait eu lieu sans l'existence de l'unité de jour, grâce aux modalités de l'hospitalisation complète et à la reprise d'un traitement régulier. Il nous semble pourtant que cet apprivoisement mutuel, que la simple prise en compte de la présence de Benoit ("bonjour!"), sans demande de contrepartie, a permis de banaliser une situation potentiellement menaçante pour lui, et à accélerer son acceptation des soins. Par ailleurs, les échanges au sujet de ses capacités relationnelles, avec les collègues de l'unité ont peut être pu permettre de penser ce patient au delà du rejet qu'il mettait en oeuvre par son aspect repoussant et son refus de communiquer.
Salima a une présentation déficitaire, et ses crises clastiques ont fini par épuiser son entourage. Elle attend à (et de) l'hopital qu'on lui trouve un lieu de vie qui reste à déterminer.
Lorsqu'elle nous demande de faire un gâteau, elle va nous étonner, tout d'abord par le soin avec lequel elle va choisir une recette adaptée à ses compétences et au matériel que nous possédons, puis par sa capacité à différer de quelques jours (le temps d'acheter les ingrédients nécessaires).
Le jour même de la réalisation, elle va se débrouiller quasiment seule, organisant avec méthode les divers stades de la préparation, puis lavant et rangeant ensuite les ustensiles, sans qu'on ait besoin de lui suggérer.
Après la dégustation commune l'après midi, elle ira porter fièrement les parts restantes à "son" médecin et à "ses" infirmières.
Acte modeste que de faire un gateau ? Sans doute. Il n'empêche que Salima nous a révélé ici des capacités d'élaboration et d'organisation qu'on ne lui soupçonnait pas, et qui seront prises en compte, pour cibler la recherche d'un foyer pouvant lui convenir.

Nous pourrions donner bien d'autres exemples, encore de situations banales influant sur le soin.
L'important reste la transmission et le partage de notre vécu de soignants, et de nos observations, qui vont permettre d'envisager le patient dans sa globalité.
l'articulation unité de jour/unité de soin est instituée en amont, au niveau de l'organisation : l'équipe de l'UJ est composée de 2 infirmières temps plein, et de 2 mi-temps qui exercent leur autre 50% dans chacune des unités de soin.
Par ailleurs, nous assistons aux réunions médecins/équipe (le "flash") 2 fois par semaine, et sommes présentes à certaines réunions cliniques et institutionnelles des unités.
Cet échange entre unité de soin et unité de jour fonctionne, bien entendu, dans les 2 sens : Nos collègues des unités, eux, passent régulièrement nous rendre visite, et de manière plus formelle, viennent renforcer notre équipe quand l'une de nous est absente.

En conclusion, nous pourrions dire que nous avons la chance que notre institution reconnaisse, de façon concrète, l'importance de l'informel dans la prise en charge des patients, au point de lui accorder les moyens nécessaires pour exister, et d'entériner ainsi  un propos de J. Hochman ..."plus que d'institutions, nos patients ont peut-être besoin qu'on pense à eux, et à propos d'eux, avec créativité et plaisir"
Un dernier mot, pour dire enfin que ce sont les patients, qui, jour après jour, font exister cet espace.

Et Merci à Eric Julliand, " fondateur" de l'unité de jour.




Mise à jour le Jeudi, 05 Juin 2014 10:02  

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