Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Place du jeu dans la prise en charge thérapeutique, l'enfant dans l'adulte (2/2)

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(Cycle de formation 2014, du 2 au  7 juin 2014 - VERS 46090)

Thème préparé par: Rose-Marie GLATZ psychologue, Jean-Marc LABROSSE Infirmier

Notes de l'atelier rédigées par :

 

 


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LA PLACE DU JEU DANS LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE

 

Même si, paraît-il, Aristote disait déjà:  «  On devrait proposer le jeu comme on donne des médicaments »,ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle que l’enfant devient « humanité à réaliser ». L’accent est mis alors sur l’importance de l’éducation et donc du jeu qui souligne à quel point il peut être une découverte de la liberté par soi-même : de la règle, du corps …. Il s’agit d’un lieu exemplaire de l’apprentissage de soi par soi.

Ariès dans son livre « L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime » montre l’évolution du sentiment de l’enfance et des rapports enfant/adulte. Les jeux et plus particulièrement les jouets se différencient selon les âges de la vie ; le souci de préserver la moralité de l’enfance et aussi de l’éduquer, de le « civiliser ». Les jeux deviennent peu à peu des supports éducatifs aussi estimables que les études. Comme le dit alors L. Gaussot : « Le jeu est devenu une activité sérieuse, éducative, pédagogique qui contribue au développement affectif, sensori-moteur, cognitif, moral, intellectuel et social de l’enfant. C’est l’optique de la psychologie du développement. »

La prime enfance devient un objet pédagogique : il s’agit d’apprendre en se distrayant et de se distraire en apprenant et si l’école forme par le jeu on introduit l’école à la maison à travers les jeux.

Le guide pratique distribué par le Comité National de l’Enfance et la C.P.A.M aux futures mères, réserve une place particulière à « l’importance du jeu dans le développement de l’enfant » en précisant combien « le jeu est chez l’enfant une activité essentielle, nécessaire à son équilibre et à son développement global, psychomoteur, affectif et social. »

Au souci proprement éducatif s’ajoute celui de l’autonomie personnelle et de la sociabilité, compétences comme les autres que les jeux peuvent développer et proposer à l’apprentissage des enfants.

Reis en 1994 dira que c’est par le jeu , traditionnellement analysé comme loisir, et en jouant, que le monde enfantin « s’essaie à la vie adulte » et Caillois d’ajouter : « Le jeu ne prépare pas à un métier défini, il introduit à la vie sociale et à la culture. »

Winnicott, lui, disait « C’est sur la base du Jeu que s’édifie toute l’existence expérientielle de l’Homme » et ce n’est sans doute pas un hasard s’il mettait une majuscule aux mots Jeu et Homme……

En anglais on différencie, comme le rappelle Fabien JOLY :

le game : jeu réglé, jeu sportif., jeu de société.

Le play : jeu spontané, jeu imaginaire et symbolique.

Le gamble : jeu de hasard ou jeu à risques.

Le playing : en insistant sur le ing suffixe précisant le processus de création et de transformation ludique en train de se faire.

Mais pour ce faire, encore faut-il que le petit d’homme ait d’abord réussi certaines étapes capitales dans la constitution de son être au monde….

Pour Bernard GOLSE le jeu est également essentiel chez le bébé en ce qu’il participe à l’instauration même de sa psyché et en ce qu’il concoure à l’avènement de l’intersubjectivité. Pour cela il faut, bien entendu, que des jeux interactifs soient initiés par la ou les personnes qui s’occupent de ce bébé.

Imre Hermann, ancêtre de Bowlby et de sa théorie de l’attachement avait détecté chez les singes ce qu’il appelait « la pulsion d’agrippement ou de cramponnement » qui permet au bébé primate d’être en contact quasi permanent avec sa mère ce qui permet la survie en cas de danger. Hermann repère et met en évidence chez l’homme la persistance de deux instincts archaïques, de deux pulsions complémentaires : la pulsion de cramponnement à l’objet originel et la pulsion de « recherche » vers la nouveauté.

Didier Robin nous rappelle que l’homme est le plus « prématuré » des mammifères et qu’il a du trouver à se cramponner autrement pour survivre : l’intensité des échanges des regards est une spécificité humaine (regardez un chien dans les yeux plus de trente secondes et voyez ce qui se passe…), Et les humains se cramponnent par le biais de la parole, la musique de la voix, la signifiance de cette parole. Et pour Robin « La création de l’appareil psychique est en elle-même une manière d’introjecter le cramponnement à l’autre. »

Dans des films tournés à Löckzy institution dirigée très longtemps par Emma Pikler à Budapest, on peut voir le soin que prennent les personnes en charge d’enfants abandonnés ou orphelins très tôt, et l’attention portée aux réactions des tout-petits pendant qu’on les lave, les nourrit etc… Il n’y a jamais de « forçage », on ne tire jamais sur un bras ou une jambe pour retirer un vêtement, l’adulte parle, sourit, explique, jusqu’à ce que l’enfant participe de lui-même à ce qu’on attend de lui. Puis, après avoir mis cet enfant en sécurité et à portée de voix et de regard, l’adulte s’occupe d’un autre enfant et le premier peut alors librement manipuler certains objets à sa portée ou avec son corps montrer le travail psychique qui est en train de se réaliser grâce aux souvenirs de ce qui vient de se passer avec l’adulte qui est toujours là mais qui s’occupe d’un autre. C’est la valeur de l’écart entre la présence et l’absence qui prend ainsi tout son sens et qui fonctionne comme le dit Golse « comme un formidable stimulus des processus de symbolisation précoces chez l’enfant. »

Serait-ce alors ce que Winnicott appelait «  savoir jouer seul en présence de l’autre » ?

Revenons à la belle étymologie du mot symbole : le sumbolon était une pièce de poterie que l’on cassait en deux et que deux amis, deux représentants d’une famille, d’un clan, se partageaient pour marquer leur alliance et pour pouvoir la réactiver dès que nécessaire. Le symbole est donc, de manière générale, ce qui est séparé tout en préservant le lien, ou même, ce qui est rompu pour préserver le lien ( c’est moi qui souligne).

Et c’est bien là qu’intervient la place du jeu dans la prise en charge thérapeutique car s’il y a défaut de symbolisation, il y a souffrance psychique ! Les symptomatologies psychopathologiques sont toutes associées à des fragmentations intra-psychiques (forclusions ou dissociations, clivages et refoulements.)

Car dans une « consultation » nous pouvons rencontrer des individus. Qu’est ce qu’un individu ? Celui-ci peut être vu, entendu, touché, senti et parfois même goûté !

Mais, dans une « clinique du transfert » nous tâchons de rencontrer un Sujet qui, lui, n’apparaît QUE dans l’échange.

Il s’agit, à tout le moins de mettre «  du jeu dans les rouages » en passant par le corps ce qui évite la dichotomie corps/psyché. Au moment du jeu il m’apparaît que les paroles sont chargées par le transfert PARCE QUE le corps est occupé ailleurs. Or,selon Freud La pensée est une motricité intériorisée. Si l’on suit les expériences de Rizzolatti en 1996 il prouve l’existence de « neurones miroirs » dans le cortex Il n’y a pas de différence sur une I.R.M. entre :

  • une action accomplie

  • Si on regarde un autre qui fait l’action.

  • Si on imagine faire l’action c'est-à-dire si on a une représentation de l’action.

Au bout du compte, pour le cortex cérébral Action et Représentation de l’action c’est du pareil au même ! Jeannerod en 2004 proposera le néologisme de « représentaction » pour bien souligner ce fait.

Golse nous rappelle cependant que c’est le travail de l’affect qui se trouve toujours au premier plan dès lors qu’il s’agit de jeu.

Le jeu devient alors comme une énonciation, il s’agit d’un acte linguistique et selon Christophe Dejours si l’énonciation ne peut pas être reproduite, elle caractérise l’instant même de la prise de parole ou de l’écriture c’est le « travail vivant » ce qui est différent du travail de l’énoncé, c'est-à-dire du contenu qui peut être reproduit.

C’est pourquoi M.Klein s’est emparée de cet aspect de la consultation avec des enfants pour affirmer que la psychanalyse des enfants était possible si l’on assimilait le jeu à l’association libre des adultes. Le jeu devient à la fois ce qui montre les conflits internes de l’enfant ET un moyen thérapeutique dans le cadre du transfert.

Pour Winnicott, il en va tout autrement puisque le jeu est un moyen thérapeutique en soi puisqu’il est à la fois spontané et universel et loin d’être seulement un contenu, le jeu est également un contenant. Nous sommes alors directement interpellés par le concept « d’objet transitionnel » qui est la fois ni vraiment ma mère réelle ni ma mère interne mais toujours un peu des deux. Ce qui nous ramène peu ou prou à la « permanence de l’objet » sans laquelle un enfant ne se sentira jamais « secure ».

Aussi ne faut-il pas confondre un enfant qui « amène » dans le bureau, un ou ses parents, le pose sur un fauteuil et s’en va tranquillement jouer sous le bureau du thérapeute avec un enfant (jeune) qui ne peut quitter l’adulte qui l’accompagne, s’accroche à lui, refuse de regarder l’adulte qui l’attend…. Dans ce cas précis je pense que quelque chose a manqué à cet enfant qui lui permettrait d’être tranquille sans l’adulte/parent qui vient avec lui et je fais entrer dans un premier temps les deux ensemble puis au fur et à mesure que la confiance s’installe, il peut m’arriver de porter cet enfant jusque dans le bureau de consultation et de lui tenir la main pendant plusieurs séances pour effectuer des dessins des écrits etc… Jusqu’au moment où il pourra parler seul ou bien agir seul avec ou sans jeu préconstuit.

Au bout du compte le seul impératif, à ce moment, c’est que le jeu soit « vrai », l’adulte ne peut pas faire semblant, un enfant a besoin de jouer avec un adulte qui est resté en lien avec sa partie « enfant » et Freud disait déjà en 1908 «  L’opposé du jeu n’est pas le sérieux mais la réalité. »


Rose-Marie GLATZ psychologue, Jean-Marc LABROSSE Infirmier

Mise à jour le Mercredi, 04 Juin 2014 10:22  

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