Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille
Home Les textes des interventions Toxicomanie VULNERABILITE – SCHIZOPHRENIE – CANNABIS

VULNERABILITE – SCHIZOPHRENIE – CANNABIS

Envoyer Imprimer PDF

Connu depuis plus de 2000 ans en Inde et au Moyen Orient, le Haschisch « herbe de folie et de rêve » pose depuis un siècle à nos civilisations occidentales un problème né d’une consommation d’intensité croissante.

Décrit en 1758 par le naturaliste suédois Karl Von Linne, il est connu sous la désignation de « Cannabis Sativa » (chanvre cultivé).

Introduit en France vers 1850 par Moreau de Tours, le principe actif est le THC (tetra-hydra-cannabinol) ; l’herbe (mélange des sommités fructifères desséchées et des graines) est la préparation de base la moins riche en THC. La sinsemilla en est une variété produite avec les seules inflorescences femelles privées de graines donc plus concentrée en principe actif. Le haschich et ses équivalents sont constitués de résine séchée et compressée (les barettes). L’huile de cannabis est un liquide visqueux, noirâtre à brun-vert, d’ôdeur vireuse caractéristique, préparation la plus riche en THC (25 à 60 %). Le bhang indien ou antillais est une préparation où l’on fait une décoction de cannabis dans de l’eau ou de l’alcool (permettant d’apporter 100 fois plus de THC à l’organisme que la simple aspiration d’une bouffée d’un joint ou d’un pétard).

Actuellement les produits changent en lien avec les habitudes de consommation ( THC de 3 à 8), produits transgéniques… très lointains et beaucoup plus toxiques que les anciens « moquette, fumette, herbe, chichon » qualifiés de « drogue douce ».

En France, on dénombre 1 500 000 usagers réguliers du cannabis avec plus de 500 000 usagers quotidiens et multiquotidiens (à titre comparatif 150 000 héroïnomanes).

Dans les populations des 13/15 ans, on estime à 300 000 adolescents usagers (en France 14 % d’adolescents), après 17 ans plus de 50 % d’entre eux ; 3,9 millions de français en ont un usage une fois par an.

De plus, le cannabis est porté sur les épaules du tabac (dépendance avisée). Plus tôt l’essayer, c’est plus vite l’adopter et plus intensément se détériorer (le cerveau de l’adolescent est en pleine maturation et notamment la voie méso-limbique).

Par son exceptionnelle lipophilie (plus de 10 000 000 fois plus soluble dans les graisses que dans l’eau, le THC traverse aisément la barrière hémato-encéphalique et se dissout puis s’accumule dans les graisses du cerveau.

 

L’existence de récepteurs spécifiques aux cannabinoïdes n’a été prouvée qu’à partir de 1991 de même que celle des ligands cannabinoïdes. (ligands endogènes, exogènes naturels et synthétiques).

Deux types de récepteurs ont été caractérisés :

  • CB1 Système nerveux central et périphérique (Cf. hippocampe, zones de la mémoire différée et de travail dont les lésions sont irréversibles à long terme)

  • CB2 surtout dans les cellules du système immunitaire.

 

C’est donc CB1 qui est plutôt impliqué dans les effets psychotropes des cannabinoïdes (CB2 l’est dans leurs effets immuno-modulateurs).

Le THC ne se désorbe de ses sites de stockage lipidiques que sur un temps très long, passant alors « au retour » et au long cours, à faible concentration, devant les récepteurs CB1 qu’il avait intensément stimulés « à l’aller » ; les faibles concentrations de THC issues de cette lente désorption suffisent à exercer un effet délétère maximal particulièrement rémanent.

 

Effets psychiatriques du cannabis

Il conviendra de distinguer les types d’usages et surtout d’usages nocifs (populations à risque) et d’abus puis de dépendance (rappelons qu’au sens phénomélogique, l’addiction est une conduite qui repose sur une envie constante et irrépressible, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour y échapper), de la consommation occasionnelle.

Bien que discutée, la dépendance au cannabis est reconnue, elle s’installe dès l’adolescence (15 % des adolescents consommateurs) se développe pendant plusieurs années ; l’arrêt est souvent motivé par les complications de cette consommation et surtout psychiatriques.

Les effets psychiatriques des prises aiguës de cannabis

 

Ivresse cannabique (Cf. Moreau de Tours)

  • s’installe dans les heures qui suivent la consommation et entraine des manifestations psycho-sensorielles pendant 3 à 8 heures et des perturbations cognitives jusqu’à 24 heures

  • correspond à une expérience psychotique aiguë, dose dépendante confinant à une expérience introspective, dans un rapport au monde altéré selon les doses, l’état émotionnel, l’environnement, la prise d’alcool. Un premier vertige puis paf (à titre d’exemple équivalent avec héroïne dose 1 gr, la cocaïne milligramme, le cannabis microgramme).

 

Les troubles anxieux (très fréquents)

  • attaque de panique ou bad trip correspondant à une bouffée d’angoisse paroxystique de survenue brutale (dure de quelques minutes à quelques heures), 20% des consommateurs.

  • Syndrome de perte de contrôle de soi, déréalisation, dépersonnalisation, trouble anxieux généralisé pouvant durer de quelques jours à quelques mois (risque majeur de rechute si reprise de l’intoxication) avec signes psychotiques transitoires (1 cas sur 1000 admissions).

  • Les troubles cognitifs : - Attention, mémoire

- altération des réactions face à un événement imprévu

 

Les troubles psychotiques aigus :

  • effet « parano » aux idées fixes interprétatives

  • la pharmacopsychose cannabique avec hallucinations visuelles, dépersonnalisation, hétéro-agressivité et note confusionnelle.

 

Les effets psychiatriques des prises chroniques du cannabis

 

Le syndrome amotivationnel (Ball)

souvent lié à une imprégnation cannabique importante et ancienne. Il associe classiquement un déficit de l’activité, une indifférence affective et une asthénie physique et intellectuelle avec pauvreté et ralentissement idéique. Les perturbations cognitives sont au premier plan. Cette indifférence affective entraîne un rétrécissement de la vie relationnelle, une passivité, un désinvestissement scolaire et professionnel avec asthénie, anhédonie, apathie, apragmatisme, troubles cognitifs, tristesse de l’humeur.

- L’intensité des symptômes peut en imposer par une forme déficitaire d’un trouble schizophrénique.

 

SCHIZOPHRENIE

 

  • Prévalence 1 % en population générale

  • Début 15/25 ans : trois hommes pour une femme)

  • Maladie chronique et invalidante

  • En France :

- 295 798 patients recencés et traités pour 323 000 suivis donc 1/2

- 3,9 % du budget de la santé.

 

  • Pronostic selon :

- Formes cliniques

- Observance du traitement

- Précocité du traitement

- Qualité du traitement

- Environnement

 

- Principaux facteurs de risques :

- Consommation cannabis

- Hyperexpression émotionnelle

 

- Etiologie selon :

- Facteurs environnementaux

- Facteurs obstétricaux

- Facteurs alimentaires

- Facteurs viraux et infectieux (grippe au 2ième trimestre de la grossesse)

- Facteurs génétiques

 

Effets du cannabis sur le trouble schizophrénique

La consommation de cannabis chez les schizophrènes est mal appréciée par les soignants qui en sous-estiment le niveau et l’implication sur le trouble psychiatrique. Sous verbalisée et sous-estimée par le patient lui-même qui est attiré par ce produit et ses effets euphorisants, anxiolytiques et désinhibiteurs (en fait environ 47 % des patients seraient consommateurs).

Sur le plan clinique, le cannabis aggrave le cours de la maladie :

  • Majorations des symptômes positifs

  • Majorations des formes cliniques avec passage à l’acte, délinquance, agressivité… type héboïdophrénie (altération du fonctionnement social).

  • Plus d’hospitalisations (principal facteur de chronicité)

  • Moindre compliance au traitement

  • Risque de dépression et passage à l’acte suicidaire

  • Majoration des signes déficitaires et cognitifs (troubles de l’attention, des mémoires de travail et d’apprentissage, des fonctions exécutives, de la coordination motrice, du langage verbal.

 

Hypothèses étiopathogéniques

La forte co-occurrence de l’association abus de cannabis et schizophrénie pose de nombreuses questions étiopathogéniques sur son rôle dans le développement de ce trouble.

  • Dans le cadre d’une automédication, les patients atteints de schizophrénie consomment du cannabis pour améliorer leurs dysphorie, leur anxiété, les effets indésirables des neuroleptiques et recherchent une euphorie qui favorise la socialisation (1/3 des patients).

  • Dans l’hypothèse pharmaco-psychotique, le cannabis participerait au déclenchement de la maladie. L’âge de la première hospitalisation ou première consultation serait de un an antérieur chez les consommateurs. L’abus de cannabis précéderait la psychose deux fois sur trois. De nombreuses études depuis 1969 semblent le démontrer et retrouvent un effet bidirectionnel : le trouble psychotique prédit la consommation de cannabis, la consommation de cannabis prédit la psychose.

 

De nombreux facteurs neurobiologiques sont impliqués

Les cannabinoïdes endogènes sont augmentés dans le LCR des sujets atteints de schizophrénie, de même que la densité des récepteurs CB1 pré-frontaux.

Le cannabis augmente la libération de dopamine dans certaines structures cérébrales méso-cortico-limbiques que l’on suppose également impliqués dans la schizophrénie (cf. noyau accumbens) ; ces systèmes endocannabinoïdes et dopaminergiques méso-limbiques interagissent de façon significative ; la dopaminergie est impliquée à la fois dans le système de récompense (et il existe une relation étroite entre le degré de renforcement positif et le pouvoir d’addiction d’une substance) et dans les troubles schizophréniques.

Les travaux sur les interactions permettent d’affirmer que le cannabis constitue un facteur d’aggravation de la maladie psychotique.

 

VULNERABILITE DU SCHIZOPHRENE ENVERS LE CANNABIS

 

- Les anomalies des circuits neuronaux retrouvés dans la schizophrénie (hippocampe) pourraient prédisposer aux addictions en entrainant une hyperactivité des neurones dopaminergiques du noyau (accumbens) assez comparable à celle induite par la consommation de drogues chez les sujets non schizophrènes.

- Le contrôle inhibiteur du cortex préfrontal sur la consommation de substances addictives serait altéré chez le patient schizophrène ce qui expliquerait la plus grande sensibilité aux effets des susbtances toxico-manogènes : la dépendance survenant plus rapidement et à des doses plus faibles.

- Dans le cadre de l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie, il peut être envisagé que la prise de cannabis durant la période de maturation pubertaire puisse favoriser une évolution schizophrénique chez un sujet possédant des facteurs de vulnérabilité à la maladie (la prise de cannabis pouvant être lue comme un symptôme prodromique de la schizophrénie).

 

Cannabis Psychose

 

Gênes Vulnérabilité à la schizophrénie Vulnérable à la schizophrénie

 

2 10 25 35 ans

Neuro-développement Maturation Pubertaire Vieillissement

 

Docteur TARDIVEL Yann,

Psychiatre des Hôpitaux,

 

- Cannabis et schizophrénie, ateliers psychoses Dr X. Laqueille

- Cannabis et schizophrénie, épidémiologie et clinique

X. Laqueille, A. Dervaux. Sainte Anne Paris

- Cannabis et dépression J. Costentin, Culture psy.

- La psychose chronique du cannabisme Morin Actualités Psychiatriques

J. Gaillecheau

- Usage nocif du cannabis I.N.P.E.S.

- Données actuelles sur les liens entre cannabis et schizophrénie

E. Mulapert, M. Reynaud, Synapse.

Mise à jour le Mercredi, 04 Juin 2014 18:41  

Identification