Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Trente ans de psychiatrie. Quelle évolution !

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Une histoire vécue par Pascal Pannetier

Psychiatrie de secteur à l’hôpital général – Ker al lann 10 juin 2011

P… trente ans !

1981-2011 : cela fera bientôt trente ans au 1er octobre que je me coltine la psychiatrie.

Jusqu’à ma 6è année de médecine, je n’y avais jamais prêté une particulière attention :

  • Une représentation des fous grâce à une solide culture de « tintinophile » (bien avant une relecture avec Serge Tisseron).

  • Une rencontre, enfant, avec une femme, étrangement folle, mariée avec un ami de mes parents.

  • Une grand-mère maternelle habitant Laxou (peut se prononcer « lachou »), ville contiguë de Nancy, ou se situe Maréville, devenu le CPN, un des plus anciens et plus grands hôpitaux psychiatriques de France. Datant de la fin du XVIè siècle, il fut construit sur un lieu de quarantaine pour pestiférés datant du moyen âge et devint une « renfermerie », mélangeant dans une maison de correction, prisonniers, indigents et aliénés, enfermés par lettres de cachet. Vers 1975, l’Express publia un article avec des photos de malades du CPN attachés aux radiateurs.

  • Un film mythique de Milos Forman vu en 1976 en plein concours de 1ere année de médecine : « vol au-dessus d’un nid de coucou » avec Jack Nicholson dans le rôle du faussement fou mais vrai libertaire, désorganisant un HP et Louise Fletscher, la surveillante qui saura le faire punir, l’ordre médical étant rétabli par lobotomie, avant que le chef indien ne lui rende sa liberté…

  • Des mouvements humanitaires dénonçant la psychiatrie soviétique qui réprimait les « résistants » au système par des électrochocs annihilant la conscience et du Majeptil vendu par un labo français pour traiter les « schizophrénies sociales ».

Mais en vous révélant mes représentations sur la psychiatrie, me revient une confrontation au réel avec ma toute 1ère garde en 4è année de médecine en 1979, seul, la nuit, à l’hôpital neurologique de Saint-Julien à Nancy, avec un assistant chef de clinique hurlant au téléphone parce que je l’avais réveillé. Un malade de Laxou agonisait atrocement d’un syndrome malin aux neuroleptiques qui évoluait depuis un mois. J’ai su tout de suite que le syndrome malin existait et qu’on en meurt, contrairement à ce que croit beaucoup de mes collègues mettant en doute sa réalité.

 

 

Mai 1981 : Mitterrand vient d’être élu. Je crois au progrès scientifique, je reste attentiste sur le plan politique…

On ne peut pas deviner alors qu’on aura la nostalgie des années Giscard.

Giscard, homme de droite, grand bourgeois libéral qui fera beaucoup de réformes sociales grâce à ce qu’on ne sait pas encore être les dernières années des « trente glorieuses » : la majorité à 18 ans, le divorce par consentement mutuel, la légalisation de l’avortement, la loi de 1975 sur le handicap, la mise en œuvre de la circulaire de 1960 sur le secteur, les implantations, parfois préalables, en hôpital général (1976 à Thionville)…

Giscard qui dira : « il faut que les médecins comprennent qu’ils ne sont plus que des cadres moyens » et qui fera faire appliquer par Simone Veil les premières restrictions budgétaires dans la santé après les deux premiers chocs pétroliers (qui s’avèreront catastrophiques pour le CHR Metz-Thionville : pas de CHU, pas de « chous », pas de nouvel hôpital, celui de Metz restant horriblement vétuste jusqu’en 2012 et ayant coûté dix fois plus cher à rafistoler que le prix estimé d’une construction neuve).

Je date de cette période de la fin des années 70, après le 11 septembre 1973 (suicide d’Allende) et le 16 octobre 1973 (1er choc pétrolier), le début de la « dégradation » de mon espoir dans le progrès, le début de notre sentiment de déclin économique, le début de la fin de l’état providence et de l’ascension des classes moyennes grâce à la social-démocratie, le début du néolibéralisme mondialisé aboutissant à la mise en concurrence des services, même et surtout publiques (accord de l’OMC à Marrakech en 1994, signé par Gérard Longuet).

 

Octobre 1981 : je choisis mes derniers stages d’étudiant hospitalier en « périphérie » et revient après dix ans d’absence à Thionville sans trop savoir vers quoi me diriger. Je n’ai pas décidé de « faire psychiatrie », Elle m’a choisi par hasard et je suis tombé dedans pour ne plus en sortir, et toujours sans regret, à l’occasion d’une rencontre avec un service, une équipe, un chef de service, le Dr Baer, ancien chef de clinique à Strasbourg (chez le professeur Lucien Israël), juif laïque qui n’en parla jamais mais dont le père disparu dans le brouillard de la Shoah. Cela a sans doute marqué sa pratique très particulière d’une psychiatrie « ouverte », sans murs, sans soins sous contrainte (officiellement), sans limites sectorielles de recrutement, une psychiatrie très médicalisée chez un lacanien également électricien (il utilisait la sismothérapie), connaisseur précis des psychotropes, hospitalisant facilement mais brièvement, quitte à répéter les entrées-sorties pour ne soigner que les moments féconds et laisser au social et aux psychothérapeutes la gestion du dehors. Certes le dispensaire d’hygiène mental n’était pas son fort, mais il laissait faire ses collaborateurs et ce service faisait un énorme travail avec des moyens dérisoires et des patients plus que difficile.

Ma grand-mère me raconta comment elle entendait de chez elle les fous crier selon que les vents étaient porteurs et me reprocha gentiment de « faire psychiatrie » en m’affirmant qu’elle avait remarqué un changement dans mon regard lors de mon engagement. Pour paraphraser Michel Reynaud, expliquant son choix de la psychiatrie, j’ai peut-être fait Médecine pour faire plaisir à ma grand-mère et j’ai fait psychiatrie parce qu’on ne peut pas toujours faire plaisir à sa grand-mère.

En fait mon 1er stage a lieu en « diabéto-endocrino », hôpital Beauregard, Thionville.

En roulant vers Thionville sur l’autoroute A31 (autofinancé dés 1964 par le département grâce à la manne financière de la sidérurgie toute qui faisait de la région un Far West attirant des travailleurs immigrés du monde entier) je redécouvre la laideur de ces zones industrielles. Si la vue des aciéries peut avoir quelque chose de grandiose, les tours d’habitations où s’entassent ces travailleurs, en famille mais aussi beaucoup en foyers pour hommes célibataires, donnent le bourdon : est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Je passe à la hauteur d’une fameuse tour à Mondelange, détruite depuis, qui annonce : « vous entrez dans une zone de travail, donc de torture et d’aliénation, qui ne vous rendra sûrement pas libre mais que vous apprécieriez car il est porteur d’espoir… ».

Moi, je roule vers « Cormontaigne », tours pour célibataires à Yutz, également détruite aujourd’hui, bien que son béton scientifique fût longtemps protégé et classé. Je n’ai pas de place à l’internat, je dois loger provisoirement dans ces tours dans des chambres spartiates et monacales entouré d’une multitude de chinois en bleu de travail et col Mao.

Cormontaigne était un ingénieur de Vauban, chargé de protéger les Marches de l’Est, mais sans efficacité sur les chinois. Ces fortifications ne protégent pas des dangers de l’intérieur, la financiarisation des héritiers de Wendel et le démantèlement de nos usines et de nos savoirs faire. Car les chinois sont là pour démonter nos vieilles usines plus assez rentables, les transporter par bateaux en Chine, les reconstruire et nous vendre nos produits délocalisés. En Lorraine, nous perdrons 100.000 emplois de 1979 à1984 et les sidérurgistes mettront Longwy et Thionville à feu et à sang.

C’est donc dans cet état d’esprit morose que je demande mon chemin pour l’endocrino dans la cour de l’hôpital. Une jeune fille habillée hippie, bandeau dans les cheveux à l’indienne me montre le clocher de l’église : « le Jaco, il est là, réincarné. Il est beau le corbeau ».

1er contact avec la psychiatrie de secteur à l’hôpital général : l’endocrino est au 2e, j’apprends qu’il y a aussi de la psychiatrie au rez-de-chaussée.

1ere garde, 1ere incursion au rez-de-chaussée comme Liz Taylor dans la fosse aux fous du film de Mankiewicz et Tennessee Williams « Soudain l’été dernier » (ou Montgomery Clift lui épargne la lobotomie). Je passe les portes battantes et je tombe sur un grand gaillard patibulaire planté au beau milieu du couloir  qui semble surveiller la porte. Le temps de comprendre, je réalise qu’il est en train de se masturber.

2è garde, 2è incursion : un autre jeune patient très maniéré au milieu du couloir, très pale, les cheveux ébouriffés très noirs. Il répète inlassablement en chuchotant bizarrement « Jésus est bon, Jésus est bon » puis sans crier gare, il change de registre, « mon sperme sent la fleur, mon sperme sent la fleur ». Arrive une infirmière pleine d’humanité qui me rassure, dédramatise mon sentiment d’inquiétude et d’étrangeté et commence son travail de transmission…

J’aurais pu fuir, me désintéresser, éprouver de la répulsion…Pourtant j’y suis revenu volontairement. Après 1 an de SMUR (déjà l’attrait des urgences) et de dermato (très agréable, avec un chef de service, le Dr Blum, protestant comme son nom ne l’indiquait pas, qui trouva refuge et eu la vie sauve grâce à un HP pendant la guerre), quelques cours d’acupuncture (une erreur de jeunesse) et une insatisfaction dans ce que je percevais des relations médecins-malades dans un service de chir. orthopédique, je finis par prendre un poste d’interne périphérique au service de psychiatrie. Ça m’a plu, j’y suis resté et y ai préparé l’internat en psychiatrie…

Ce qui a changé en trente ans ? Tout ! et je me dois de le dire, pour les malades, très certainement en mieux. Je n’ai pas du tout la nostalgie d’un avant idyllique et d’un paradis perdu. Pourtant parfois je me dis que tout change, rien ne change. Au poids de la chronicité et à l’inertie des institutions s’est rajoutées des réformes qui, pas encore digérées sont déjà suivies d’une série d’autres et font perdre au mot réforme son contenu d’espoir en un lendemain meilleur.

Les structures résistent aux années et les clivages perdurent.

Thionville, 3 fois moins de personnel qu’à Jury, Jury trois fois moins de personnel qu’à Nancy qui a une DAF de 85 millions d’euros, le double de Jury, avec moins d’habitants.

Des problèmes d’il y a trente ans se reposent dans les mêmes termes aujourd’hui, des recommandations des tutelles d’il y a trente ans ne sont toujours pas appliquées. La société a changé, l’expression des pathologies a changé, mais le Sujet souffrant est toujours là et nos réponses à son interpellation toujours aussi insatisfaisante. Je bricole depuis trente ans, avec des contraintes variées (« les contraintes sont ma grâce » aurait dit Mitterrand), parfois les mêmes, parfois différentes, et de temps en temps le bricolage opère et permet une rencontre.

Ce qui pour moi a surtout changé, c’est effectivement la croyance dans le progrès. Le progrès était porteur d’espoir. Des progrès, j’en ai vu beaucoup, mais l’espoir dans le progrès est devenu plus relatif. Et cela donne plus de souffrance dans le travail.

Par exemple : j’ai attendu dix ans un centre d’accueil et de crise et le jour ou je peux enfin le mettre en place, des problèmes apparaissent, je passe de l’espoir aux contraintes.

Autre exemple : la démographie médicale. Quand j’étais interne, je faisais le boulot du patron ; maintenant que je suis soi-disant patron, je fais le boulot de l’interne (glissement de tache). On passe en 10 ans de 12000 psychiatres à 7000, mal répartis entre régions et mode d’exercice. Nous sommes autant de PH (on ne dit plus psychiatre des hôpitaux et l’on dira bientôt clinicien hospitalier) en 2010 qu’en 1990, selon ce que j’avais entendu dire par Descombey. Seulement si en 1990 on avait l’espoir d’un progrès, d’une augmentation, aujourd’hui je devine que, à cause de planificateurs masqués, je ne pourrais probablement pas recruter les 3 postes qui me manquent (actuellement nous sommes 2 à faire le travail prévu pour 5). Il nous faut apprendre la décroissance.

J’étais un psychiatre optimiste, je suis devenu réaliste.Pas déprimé, mais fatigué.

Les choses qui ont changé ma pratique :

-Le Luxembourg : place financière, 2e PIB après le Qatar, 1er distributeur européen par habitants d’essence et de cigarettes, 75000 Lorrains « transfrontaliers », dont bon nombre de nos infirmiers et médecins deux fois mieux payés, des structures psychiatriques en hôpitaux généraux privés qui ouvrent un peu partout, un médicosocial riche mais restrictif.

Le Luxembourg a produit des changements socioéconomiques radicaux sur le secteur, comme la renaissance d’Audun-le-Tiche, dont un des maires communistes était le père d’Aurélie Filippetti, députée socialiste de la Moselle et auteur d’un livre sur « les derniers jours de la classe ouvrière ». Audun-le-Tiche, vallée isolée et perdue le long de la frontière d’avant Schengen, avec ses immigrés italiens qui ont donné le « festival du film italien » de Villerupt, avec sa rue Salvador Allende de plus de mille numéros et la majorité des sujets souffrants de psychose du secteur. Salvador Allende, médecin suicidé ayant écrit sa thèse sur l’hygiène mentale des délinquants en 1933…

Les choses qui pourraient changer ma pratique :

-Les hôpitaux vétustes qui se reconstruisent partout : CHR Metz-Thionville, Bel Air Thionville 1969, CHS Jury 1972 dernier hôpital pavillonnaire construit en France, Beauregard, Mercy, NHM, H2M, HPM…

-Le retour du sécuritaire…

On pourrait évoquer tant d’autres changements : la perte de charisme des professeurs, la formation qui n’est plus aussi commune entre tous les psychiatres autour du « Henry Ey » et de la psychanalyse, les réformes de l’internat, de la directrice des soins, du diplôme infirmier, la volonté de désolidariser les cadres des médecins, la perte du rôle de leader de l’équipe que représentait l’ancien chef de service, l’importance des CMP, les CATTP, les GEM, les partenariats avec les réseaux sociaux, le plus grand travail avec les familles, une bien meilleure utilisation des psychotropes, par ailleurs plus performants, les unités intersectorielles (urgences, addictions, psycho-gériatrie), le dossier unique, le dossier informatique, les prises de notes selon l’optique de la loi de 2002, la relation moins paternaliste avec les patients, mais plus consumériste à l’anglo-saxonne avec les usagers…

Mise à jour le Mercredi, 04 Juin 2014 18:44  

Commentaires 

 
# Aude Bemer 12-11-2014 12:40
Bonjour,
Je vous lis et constate un certain pessimisme en rapport à l'évolution de la psychiatrie en Moselle. Je travaille à Sainte Blandine en tant que sophrologue et art thérapeute ou vous avez eu l'occasion d'exercer et je ne vois pas les choses de la même facon, certes les patients que je rencontre n'ont pas des pathologies lourdes mais ils sont pris en charge de façon globale et plus précosement. Ce qui amene vers la santé mentale d'une société malade et non plus la lutte contre des maladies mentales exclusivement. C'est à mon avis la ou nous pouvons placer notre idéal. Excusez moi de donner cet avis alors que vous avez certainement plus d'expérience.
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