Maladies mentales et toxicomanies

Dimanche, 01 Mai 2005 01:00 Robert BERTHELIER
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La question des co-morbidités

Le problème des co-morbidités, c’est-à-dire du rôle des drogues dans l’apparition de manifestations psychiatriques ou non, est posé depuis longtemps.
Les opiacés, (morphine, opium, héroïne, opiacés de synthèse) ont un effet sédatif, anxiolytique, antalgique et euphorisant. On les a longtemps rendus responsables de troubles, psychiatriques ou somatiques, variés. Un ouvrage de la fin du XIXeme siècle sur les morphinomanes affirme que le toxique rend fou, idiot, aveugle, sourd, etc.…, conduit inéluctablement à la déchéance et à la mort, bref s’avère pire que la masturbation dans les immortels ouvrages où le Dr TISSOT (XVIIIeme siècle). La réalité est autre :
Consommée raisonnablement et de manière contrôlée, l’héroïne semble pratiquement sans danger en dehors des doses létales, les problèmes sanitaires qu’elle pose étant avant tout somatiques (en particulier au niveau de l’appareil dentaire. Il faut y ajouter les risques de l’injection). On sait par exemple que les cancéreux ou autres patients hyperalgiques sous morphine ne deviennent pas toxicomanes !...

En tout état de cause, aucun de ces produits ne parait provoquer d’authentiques maladies mentales, du moins de pathologies chroniques. Tous peuvent néanmoins jouer un rôle de révélateur d’une psychose préexistante demeurée latente.

LE PROBLEME DU CANNABIS :

En France, le débat s’est pratiquement polarisé sur le cannabis, en raison surtout de sa banalisation et de la précocité croissante de sa consommation (âge moyen actuel, environ 12 ans). On connaît bien ses effets psychoactifs qui apparaissent dans les minutes suivant l’inhalation et durant 3 à 4 h. : sensations d’euphorie et de bien être, amplification des sensations visuelles, auditives, gustatives et tactiles, sentiment de ralentissement du temps, augmentation de l’appétit. Il provoque aussi des troubles cognitifs, notamment des troubles de l’attention et de la mémoire antérograde, particulièrement de la mémoire du travail, un allongement du temps de réaction. A plus forte dose, il peut entraîner des idées de persécution, déformer les perceptions, provoquer des hallucinations. Quant à sa consommation chronique, elle induit souvent des altérations persistantes de l’attention et de la mémoire avec répercussions scolaires et professionnelles, pouvant aboutir au syndrome amotivotionnel avec perte de plaisir, désintérêt, indifférence affective, perte de l’initiative :


Tout cela m’amène à estimer qu’il ne s’agit pas d’une drogue douce et encore moins innocente, nonobstant les plaidoyers de ses prosélytes pour sa légalisation. Ainsi notre collègue Christian SUEUR qui, dans la revue ‘’THS’’, a publié un long article en sa faveur. De même s’il est vrai que pratiquement tous les effets de l’herbe ou de la résine sont réversibles et qu’aucun décès du au cannabis n’a été décrit jusqu’ici. Par ailleurs, plusieurs auteurs ont lié consommation de haschich et risque de schizophrénie, ce que des études longitudinales récentes semblent prouver. L’usage peut précipiter la survenue de troubles psychotiques chez des individus vulnérables. L’augmentation du risque dose-dépendance est indépendante des autres drogues (études Suédoise -1969 -, néerlandaise – 2002 -, allemande – 2005 -).
Toute la question est alors de savoir si le cannabis est la cause de la schizophrénie. Sur ce point, toutes les études semblent montrer qu’il s’agit comme un précipitant ou un révélateur chez des sujets porteurs d’une psychose latente qui se serait très probablement manifestée tôt ou tard.

ET LE CANNABIS CHEZ LES SCHIZOPHRÈNES ?

Il est une donnée d’expérience : jeunes ou vieux, nos psychotiques chéris fument d’abondance, et pas uniquement du tabac. Dans une étude française de 2003, 54% d’entre eux ont expérimenté le cannabis au moins 1 fois, 26% ont présenté un abus ou une dépendance au produit. A mon humble niveau :

Cela, qui fait contraste avec la clientèle habituelle antérieure, essentiellement faite d’héroïnomanes, montre sans doute une mutation progressive de la composition de la file active mais pose tout de même quelques questions dont celles-ci : pourquoi fument –ils le cannabis ? à quoi leur sert-il ? Joue t-il un rôle dans la genèse ou l’entretien de leur symptomatologie psychotique ?
Sur ce dernier point, les réponses apportées par les études menées jusqu’ici semblent assez claires : le cannabis parait améliorer les symptômes dits négatifs de la schizophrénie mais aggraver la symptomatologie positive, en particulier les hallucinations et les idées délirantes. A plus long terme, il aggrave l’évolution de la maladie.
Restent cependant les 2 premières questions, pour lesquelles je vais essayer d’esquisser une réponse à travers 2 vignettes cliniques.

L’ŒUF ET LA POULE, ÉTERNEL DÉBAT :

Multiplier ces types d’observations n’offre pas grand intérêt. L’important est ailleurs : nous voyons de plus en plus, et de plus en plus souvent, des sujets de plus en plus jeunes, adressé a priori pour des consommations de drogues illicites mais chez qui le tableau clinique impose un autre diagnostic que celui, simple, d’addiction. Ce qui pose quelques menus problèmes concernant leur prise en charge et quelques questions :

Ici se fait jour un débat très actuel entre ceux qui considèrent que la drogue est à l’origine des troubles psychopathologiques et d’autres estimant qu’elle ne sert que de révélateur, voire de masque, à une pathologie jusqu’alors latente. Je pense que quelques éléments sinon de réponse, du moins de réflexion, ressortent de mes 2 ‘’histoires de fous’’ : dans ma clientèle, la majorité des sujets adressés pour consommation de drogue les utilisent pour être mieux ou moins mal ‘’dans leurs baskets’’ :

Dans tous les cas, le produit est utilisé pour réduire une souffrance, masquer ou contrôler une symptomatologie gênante ou invalidante qui entrave l’insertion sociale. Mais s’agit-il encore, alors, de toxicomanie ?

Robert BERTHELIER
Psychiatre des Hôpitaux
5, allée des Cailles
91210 DRAVEIL

Mise à jour le Jeudi, 27 Mai 2010 14:53