Y A-T-IL UNE DÉGRADATION DE LA PRISE EN CHARGE DES PSYCHOTIQUES SUR LE SECTEUR

Mercredi, 08 Juin 2011 00:00 Jean-Paul BOYER
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(Cycle de formation 2011, du 5 au  11 juin 2011 à GUITTÉ )

Thème préparé par: Dr Jean Paul BOYER

Notes de l'atelier rédigées par :


 


Y A –T-IL UNE DEGRADATION DE LA PRISE EN CHARGE

DES PSYCHOTIQUES SUR LE SECTEUR

 

Voilà un certain nombre d’années sinon de décennies que cette question se pose, le corps psychiatrique ayant tendance à répondre oui. On va voir que l’état de la de la psychiatrie a évolué et que les réponses antérieures sont peut-être « piégeuses ».

La psychiatrie représente, dans les années 90, un tiers des lits hospitaliers. Dix ans plus tard elle ne représente plus que le cinquième. La psychiatrie a fermé 60 000 lits en trente ans.

Le psychiatre Franck Drogoul ( Les rapports Piel-Roelandt et Kouchner, les nouvelles frontières de la psychiatrie ) dit que le clivage a commencé il y a 40 ans entre les psychothérapeutes institutionnels et les psychiatres «  italiens ». Ceux-ci accusant ceux-là de n’avoir rien fait pour supprimer la pratique asilaire depuis leurs positions des années 50, défendant la radicalité de loi italienne qui avec la fermeture des asiles peut seule entraîner une déségrégation des psychotiques.

Avec la question de la maîtrise des dépenses de santé on utilise cette position en fermant les lits qui offraient « asile » aux psychotiques. La problématique s’acutise en particulier à partir du rapport  Piel-Roelandt en 2001 avec la provocation : il faut fermer les hôpitaux psychiatriques .

La psychothérapie institutionnelle s’est nouée au confluent de différents mouvements.

Mouvements d’après guerre avec l’horreur des camps de concentration et l’enfermement.

La mort comme sont mort de nombreux malades durant la guerre (et la reconnaissance de cela, 50 ans plus tard, étant retournée comme la responsabilité d’une mort due aux hôpitaux psychiatriques : « Hadamarad en 1939-1945. Ce n’est qu’en 1996 que put se tenir à Brumath en Alsace un colloque sur la situation des malades mentaux pendant la guerre. On y appris alors que sur l’ensemble du territoire français occupé ou prétendu libre, une politique délibérée de négligences des conditions de vie des malades mentaux entraîna la mort de 40 000 d’entre eux. Freddy Raphaël, sociologue, retrouva les archives de ces malades qui partirent de Hoerdt et de Stephansfeld, hôpitaux psychiatriques, pour gagner en wagon, Hadamarad où ils furent gazés » Hugues Zysman in JPF N°19)

Mouvement psychanalytique et surtout la notion de transfert, de travail autour du transfert . Les clubs, l’ergothérapie, les réunions deviennent le réseau, l’équivalant « social » de l’inconscient sur lequel on va pouvoir travailler.

Le vent de le démocratie va souffler comme a pu souffler l’espoir démocratique dans l’après guerre ; la démocratie n’est-elle pas thérapeutique ?

On entend bien l’aliéniste qui en offrant un relatif havre de paix au patient va lui permettre d’essayer de se reconstituer. Cet «aliéniste»  pourra reprocher aux tenants du «court-séjour» de ne pas laisser au patient le temps, dans un milieu accueillant et structurant, de «métaboliser» certaine de ses difficultés et se réorganiser .

D’autres diront qu’il s’agit simplement d’un hébergement et que cela peut être dévolu au médico-social, aux ESAT, aux foyers de types variés.

Le sociologue Erwing Goffman (Asiles, études sur la condition sociales des malades mentaux ) substitue la notion d’aliénation sociale à celle d’aliénation mentale. L’hôpital psychiatrique possède un certain type de traits structuraux objectifs sociologiquement : l’isolement par rapport au monde extérieur dans un espace clos, la promiscuité entre les reclus, la prise en charge de l’ensemble des besoins des individus par l’institution, l’obligation de suivre un règlement qui s’immisce dans l’intimité du sujet et programme tous les détails de son existence au quotidien, l’irréversibilité des rôles entre le personnel et les internés, la référence constante à une idéologie consacrée comme seul critère d’appréciation de tous les aspects de la conduite. Goffman considère que ces traits conviennent tout autant à l’hôpital psychiatrique qu’à la prison, aux couvents, aux cantonnements militaires ou aux camps de concentration.

Finalement tout cela n’est-il pas idéologique, lecture en toute bonne fois, émanant d’un regard psychiatrique porté et orienté dès le départ ?

La désinstitutionnalisation ,en particulier la désinstitutionnalisation américaine aurait jeté dans la rue des milliers de patients.

La marginalisation -SDF- fréquente de plus en plus les urgences et les services et parmi eux psychotiques délirants (mais ils se font repérer par les autres comme « anormaux ») et psychotiques dont on a l’impression que leurs seule symptomatologie est la désocialisation (mais il faut être adapté, normal pour vivre normalement dans notre société). Ces patients après un long temps d’hospitalisation arrivent à se restructurer quelques peu mais là où, avant, ils restaient dans l’hôpital ils sont maintenant restitués à l’extérieur.

Sans doute y a t-il de plus en plus d’exigences dans notre société et de plus en plus de laissés pour compte. La place dans le service de psychiatrie devient « chère » (finalement au sens propre et au sens figuré) et la personne qui se retrouvait autre fois à « l’asile » va se retrouver maintenant à l’asile de nuit.

D’autre fois il va se retrouver en prison. De la démarche de responsabilisation du malade mental qui se voulait thérapeutique (le parallèle de la loi et du symbolique) on en arrive à un accueil dans le milieu pénitentiaire, faute de savoir où aller, bout de course du trajet « fou » qui ne peut que s’émailler d’actes illégaux.

Tout cela est bien «sociétal », la marginalisation sociale ou mentale fait que les individus sont rejetés, les intervalles accueillants dans la société sont de plus en plus étroits.

Il y a de plus en plus d’exclus et parmi eux de psychotiques qui avant arrivaient à trouver une place.

En face les moyens techniques sont à la fois plus performants mais aussi plus restreints de par leurs coûts.

La clinique psychiatrique s’est développée.

Les traitement se sont multipliés sans doute plus adaptés aux pathologies. Les antipsychotiques sont moins agressifs permettent une meilleure qualité de vie.

Et si l’asile est si ségrégatif, quelle alternative ? Le secteur psychiatrique. 0n peut penser que c’est à partir de là que s’est situé l’implantation de la psychiatrie à l’hôpital général … encore eût-il fallu que suivent les alternatives à l’hospitalisation. CMP, hôpitaux de jour , appartements thérapeutiques, placements familiaux, etc. Faites les comptes, rares sont les secteurs qui bénéficient de toute la panoplie.

Parallèlement s’est développé le secteur social ; n’oublions pas l’allocation d’adulte handicapé et les foyers, Esat et les structures pour handicapés.

Dans le monde rêvé tout va bien et la querelle pourrait rester idéologique.

Mais le secteur à l’hôpital général n’a pas été doté de tout ce qui a été évoqué et maintenant nous allons nous heurter au socio économique.

Le Docteur Patrick Lemoine (L’hospitalisation psychiatrique est malade ) indique que les malades sont de plus en plus mal pris en charge en France faute de structures adaptées, l’hospitalisation psychiatrique ayant été gérée selon une logique comptable. Il y a eu une importante restructuration des capacité d’hospitalisation (l’alibi a été de les remplacer à moyens constants par des structures alternatives à l’hospitalisation reprenant le vieux rêve antipsychiatrique – le malade n’est que le symptôme d’une société malade. Soignons la société, rendons la tolérante aux fous et leur nombre diminuera) Résultat les patients ne sont plus pris en charge sur leur secteur d’origine. Les week-end sont devenus des casses tête.

Il n’y a plus assez de place en psychiatrie parce que il n’y a plus de moyens pour les financer et non pas parce que l’on a choisi telle ou telle référence psychiatrique.

Les malades mentaux sont invités à partager la pénurie avec les autres patients, ceux de la « MCO », ceux de l’obstétrique et de la chirurgie. Et puis il y a les modes et la mode n’est pas à la psychiatrie ( sauf au malades mentaux dangereux )

La question maladie version santé mentale retrouve là toute sa place. A parler de santé mentale on verse dans le domaine des besoins de santé qui ont un coût, des « clients » et voilà on est dans le domaine économique et les choix sont fait alors de l’extérieur de la médecine.

On pourrait plagier la phrase connue et dire que la médecine est devenu trop importante pour la laisser au médecins (la réflexion se fait à présent au niveau de la société ou de ses représentants)

La question de la formation des médecins psychiatres, internat de spécialité (spécificité de la psychiatrie), internat généraliste (réinscrire la psychiatrie dans la médecine), la question de savoir si la psychiatrie doit être analytique, biologique, comportementaliste ou autre ne se pose plus. Ce n’est qu’ idéologie. Simplement il manque actuellement 1000 psychiatres dans les hôpitaux en France.

On pourrait sans doute poser avec le même éclairage la question de la formation des infirmiers voire la question de leur remplacement par des aides soignants.

Dans un texte récent d’Alain Pourrat (« Psychiatrie de secteur à l’hôpital général : un tournant » Information Psychiatrique février 2011) on retrouve très clairement l’expression d’inquiétudes non plus basées sur des questions idéologiques mais uniquement sur les données économiques. La dénonciation est forte sur les résultat de la loi HPST, sur les budgets T2A et DAF. Le Docteur Pourrat demande que l’on envisage de « sanctuariser » les budgets psychiatriques.

Economiquement le poids de la psychiatrie à l’hôpital général est plus faible que le poids de la psychiatrie dans les centres hospitaliers spécialisés ou que le poids des services de médecine somatique de ces hôpitaux généraux. La psychiatrie d’hôpital général pourrait bien en faire les frais.

Faisons un détour sociologique : en quoi le malade mental et la façon dont il est pris en charge nous renseigne sur une société ?

Peut être à présent que la question va redevenir idéologique ( s’il y a un malade mental dangereux peut être le sont-ils tous ?)

Une des raisons d’exister d’une société est de protéger ses membres et en particulier les plus faibles (encore faut-il définir ce que sont les «  plus faibles »)

Et quoi de plus faible qu’une victime ?

C’est sans doute en ce sens qu’il faut entendre la nouvelle loi de 1838-1990 en cours de discussion au parlement. En 1938 on défendait le malade mental contre la société maintenant la société se défend contre le malade mental. La décision de maintien en hospitalisation contrainte sera administrative avec ou sans l’avis du psychiatre (psychiatre nommé par le directeur de l’hôpital) , sans oublier qu’un soigant serait également sollicité (élargissement du nombre des responsables de la décision, responsabilisation du soignant ou ?) L’intervention du juge (la judiciarisation) reste une machine lourde à mettre en place.

Serait-on dans une société qui se défie de ses médecins, dans une société qui se défie de ses juges ?

La stigmatisation du malade mental comme dangereux, à partir d’événements dramatiques peu fréquents, va impacter profondément la prise en charge des psychotiques car c’est eux qui vont être visés aussi bien dans le regard que la société va jeter sur eux que dans les nouvelles contraintes des placements contraints.

Restons caricatural : la dégradation de la prise en charge des psychotiques se mesure à l’aune des lieux de relégation : dans les rues avec la marginalisation où il est difficile de mettre en place un soin, dans la détention où les moyens restent limités puisque ce n’est pas de la psychiatrie, dans l’hôpital psychiatrique où les patients vont devoir rester plus longtemps alors que les places vont diminuer.

Marcel Czermak : « La question de transfert reste centrale. Toute la médecine c’est toujours développée autour du transfert, même s’il était sauvage et manié comme on peut. La récusation du transfert est la pointe extrême de la destruction de la médecine. Les médecins eux même n’en ont pas la moindre conscience parce qu’il méprisent la psychiatrie. Comme toujours c’est une haine du transfert qui transparaît. Le transfert signifie que le simple fait que je m’adresse à quelqu’un m’en rend dépendant. Le revers de l’affaire, c’est que l’on devient tous « frères ». Cela a un effet paradoxal qui ne peut que pousser dans la vie publique et sociale aux extrêmes c’est à dire au totalitarisme. La fonction même de la parole est traitée sur un mode où elle serait une sorte de parasite, alors même que sans ce parasite aucun d’entre nous n’est capable de rencontrer un partenaire. Je pense qu’on est en train de vivre un drame majeur et relativement inapparent. C’est une récusation des lois de la parole qui va de pair avec la montée des religions. Ce qui se passe dans la psychiatrie est un des exemple les plus éloquent. Notre vieille tradition romano-canonique est sérieusement battue en brèche, j’inclus juifs et musulmans qui sont tous devenus des catholiques romains sur ces questions. Il n’y a pas d’endroit où le sujet ne soit pas transparent, où il ne soit pas obligé de rendre compte, et mécaniquement il y a de pus en plus d’exclus. Donc une société sans abri et, en pratique, de plus en plus de personnes qui vagabondent »(Journal Français de la Psychiatrie N°19)

La folie n’interroge plus, elle n’est plus une porte d’entrée sur le fonctionnement humain. Tout au plus peut-elle faire peur et avoir la place d’un sujet de « journal télévisé ». Peut être que le consommateur n’a pas d’inconscient. De fait c’est ainsi que Melman le décrit dans « L’homme sans gravité ». L’individu est simplement soumis aux aléas de la jouissance, jouissance d’objets de consommation. On est dans un fonctionnement sur le modèle du moi, il n’y a plus de mémoire (sinon informatique objective et neutre ), il n’y a plus d’obscur « objet du désir ».Comme le prédit Czermak il restera l’Hypochondrie.

 


Docteur BOYER Jean-Paul

CHI Fréjus Saint Raphaël

Mise à jour le Mercredi, 04 Juin 2014 10:50