(Cycle de formation 2014, du 2 au 7 juin 2014 - VERS 46090)
Thème préparé par: Dr PARRIAUD MARTIN Anne – MUYARD Françoise ISP
Notes de l'atelier rédigées par :
L’INFORMEL EN PSYCHIATRIE
Le formel c’est ce qui est exprimé avec netteté, précision, clarté et univocité. Ce terme apparaît au 13ème siècle dans la langue française et renvoie à l’aspect extérieur ou structurel et qui s’attache à la forme.
Le terme informel apparaît plus tardivement en faisant référence aux transgressions des codes préétablis dans les Beaux Arts, au 20ème siècle : c’est ce qui ne tient pas compte de la forme établie. Le terme informel est utilisé pour évoquer les processus qui nient les procédures conventionnelles et instaurent de nouvelles procédures.
Comment définir l’informel ?
En architecture ce serait…par exemple, la Torre David (« carcasse à Caracas »). Un bidonville debout. La Torre David, au centre de Caracas, devait être à l’origine la plus haute tour du quartier d’affaires de Candelaria. La construction de cette tour a été abandonnée du fait de la mort de son promoteur et de la crise de 1998. Peu à peu, elle a été investie par des habitants avec l’accord des autorités. Elle est aujourd’hui le symbole d’une architecture formelle devenue informelle. (NB : Urban Think Tank a étudié l’évolution d’une structure abandonnée puis «envahie», une analyse récompensée en août 2012 du Lion d’Or à Venise).
La ville informelle se propose comme moyen alternatif d’accès au sol et au logement pour une importante partie de la population. En Amérique Latine un pourcentage important du sol construit correspond à la ville informelle. Informelle, illégale, irrégulière, subnormale…autant de vocables qui définissent la ville informelle en termes de négation ; regard qui fait référence à l’inaccomplissement de la forme, de la loi, de la règle, de la norme. Mais l’on peut aussi, si l’on se base sur les modes de production de la ville informelle la désigner comme autoproduite, autoconstruite et spontanée.
D’un point de vue artistique… la peinture informelle est une peinture abstraite, dans laquelle l’artiste crée des signes auxquels il donne ensuite un sens. Elle émerge au sortir de la seconde guerre mondiale quand l’artiste est confronté au fait qu’il n’est plus possible de représenter la réalité de manière explicite. Guerre, désarroi, doute, absurdité, manque total de grands projets. Alors pour quelles causes s'engager? S'engager pour sa propre vérité : c'est la puissance de l'expérimentation. Ils développent une esthétique abstraite ou « informelle » pour traduire leurs sentiments et impressions, leur expressivité.
La formule « art informel » a été donnée en 1951 par le critique d'art Michel Tapié lors d'une exposition sur le thème « Tendances extrêmes de la peinture non figurative».
(NB : cette expression caractérise donc les pratiques picturales abstraites de l'après-guerre en Europe qui font pendant à l'expressionnisme américain. André Malraux a soutenu avec intérêt l'art informel, Antonin Artaud également).
Dans le cadre des sciences sociales le terme informel est introduit par Keith Hart en 1970 au Ghana. Il définit comme informelles les « stratégies économiques, souvent provisoires adoptées par la population migrante, face à un marché marginal, qui répondent à des besoins sociaux réels ». Il s’agit d’activités économiques, parfois associées aux traditions, dont les revenus ne sont pas déclarés (sans forcément être clandestins). L’OIT en 1972 a repris cette notion de secteur informel au Kenya en désignant comme tel « les petites unités de production et de distribution des biens et des services, dont l’objectif est la génération d’emplois et de revenus pour ses participants, en dépit des contraintes de capital physique et humain, et de savoir-faire ».
Il s’agit donc d’activités non reconnues par la norme qui répondent pourtant aux besoins réels de la population locale et créent des emplois. Cette conception est donc issue de regards extérieurs sur une réalité locale.
Je donnerai l’exemple des vendeuses de beignets à Lagos (micro et petites entreprises dans le secteur agroalimentaire : transformation des matières premières, sécurité alimentaire (càd accès à la nourriture) et lutte contre la pauvreté), économie « parallèle », surtout tenue par les femmes, non/ou mal prise en compte au niveau mondial dans les plan de lutte contre la malnutrition.
De tout ceci on retiendra de l’informel l’aspect inventif, subversif, voire hors la loi, collectif et susceptible d’enrichir ceux qui s’y risquent.
En psychiatrie, l’informel c’est la partie de notre pratique qui ne se formalise pas. Celle qui échappe aux penchants quantophréniques de nos autorités de tutelle ou de nos employeurs, mais aussi de nos collègues zélés, prompts à s’aligner sur les directives ministérielles et ARSiennes.
Une recherche en soins sur le travail informel a été menée par des infirmiers travaillant à Lyon, Sophie TCHUKRIEL et Jean-Paul LANQUETIN, qui ont publié un rapport de recherche intitulé : « L’impact de l’informel dans le travail en psychiatrie ». Sophie aurait dû être là cette semaine, mais un accident l’a retenue à Lyon.
Leur travail est très dense, leurs observations se sont déroulées sur plusieurs années, leur rapport est extrêmement détaillé et précis, il n’est pas possible de le résumer en quelques paragraphes. Je vais ici simplement en extraire quelques réflexions.
« L’informel est défini par l’écart conséquent entre activité réelle et activité prescrite, puis entre soins programmés et activités non-programmées ». Trois niveaux d’investigation ont été conduits : les effets des actions informelles pour le patient, pour le professionnel et pour ce tiers de référence que constitue l’équipe. C’est l’impact au niveau de l’équipe qui va nous intéresser ici.
Voir l’article « Travail d’équipe et activités informelles » dans la revue Santé mentale de Mars 2014.
Les auteurs dégagent quatre fonctions de l’informel au niveau de l’équipe soignante:
La fonction de réouverture des fenêtres d’empathie : ou comment alimenter l’empathie ? (dont le niveau varie en fonction de la sémiologie présentée par le patient). Dans un premier temps, des échanges d’anecdotes cliniques partagées autour d’un patient permettent d’évacuer les éléments contre-transférentiels. Ces échanges qui se font sur un mode humoristique voire ironique ont des propriétés de dédramatisation des situations par l’invention commune de ressources symboliques permettant de rendre le monde vivable sans pour autant en évacuer la souffrance. Dans un second temps, c’est l’ouverture, possible lorsqu’on a retrouvé une disponibilité émotionnelle, où l’on partage alors de représentations revitalisées sur un patient.
La fonction thermométrique : (météorologie et prise des constantes). Il s’agit de « prendre la température » de l’unité à partir de données diffuses, pas forcément ramenées à la conscience, du type jauger l’ambiance, évaluer les tensions (« l’ambiance c’est assez sensitif…lire la suite Page 61). Importance du son qui est décrypté par les soignants.
La fonction historicisation : utilise des connaissances et des informations anciennes qui vont contribuer à la compréhension de la situation présente.
La fonction respiration psychique : les auteurs entendent ici l’alternance de deux temps complémentaires pour la vie psychique du soignant. Le temps d’exposition à une situation dont la charge émotionnelle atteint la capacité d’absorption du soignant ou du groupe puis le temps de récupération qu’ils nomment temps de recul, de retrait, de repli ou de repos et concerne la mise à distance momentanées de la situation d’exposition. Cette fonction est essentielle pour conserver notre capacité de soigner, sans nous essouffler.
En conclusion sur ce travail je vais citer JP Lanquetin : « Les résultats de notre recherche permettent de faire émerger et de valoriser des pans entiers des soins infirmiers et du travail d’équipe. La recherche en soins permet d’approcher de manière rigoureuse et systématisée ces questions et ces intuitions qui constituent l’informel à l’œuvre dans le fonctionnement d’une équipe.
En conclusion : comment définir l’informel ? En tant que tel ? Il semble que ce soit plutôt par les effets qu’il produit. En cela l’informel s’apparenterait-il à l’inconscient freudien, repérable seulement par ses effets ? En préparant mon exposé, l’informel m’a ramenée à un ouvrage de François Jullien, philosophe et sinologue, dont les écrits sont une source de réflexion précieuse. Penchons-nous sur un texte court, sa leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité : « L’écart et l’entre ».
Pour aborder la question de l’altérité FJ avance deux concepts médiateurs : l’écart et l’entre. Il différencie l’écart de la différence (qui d’après lui reste à la remorque de l’identité) et considère que l’écart est fécond en ce qu’il est exploratoire, aventureux et met en tension ce qu’il a séparé.
Et FJ parle de la différence comme un concept de rangement, dont la finalité est d’identifier, et qui nous place dès lors dans une logique d’intégration et non pas de découverte. Alors que l’écart « ne donne pas à poser une identité de principe ni ne répond à un besoin identitaire : mais il ouvre, en séparant les cultures et les pensées, un espace de réflexivité entre elles où peut se déployer la pensée ; l’écart ouvre de l’entre qui permet de produire du commun…à partager. L’écart fait paraître les cultures et les pensées comme autant de fécondités ». Il permet ainsi de mettre en tension ce qu’il sépare, c’est une figure non pas de rangement mais de dérangement faisant apparaître non pas une identité mais ce que FJ nomme une fécondité.
Faire travailler les écarts, ce serait donc ouvrir un espace réflexif. Ou l’on se regarde l’un l’autre, où l’on observe l’entre qui s’est ainsi créé, en tant qu’espace n’ayant rien « en propre », n’ayant pas de statut, passant inaperçu si l’on n’y prend pas garde.
Comme l’informel ?
Dr PARRIAUD MARTIN Anne – MUYARD Françoise ISP
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