ALCOOLOGIE : abstinence ou non ? (formation DPC)

Mardi, 03 Juin 2014 07:53 Pascal PANNETIER
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(Cycle de formation 2014, du 2 au  7 juin 2014 - VERS 46090)

Thème préparé par: Pascal PANNETIER

Notes de l'atelier rédigées par :


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ABSTINENCE OU NON ?

Pascal PANNETIER, Centre hospitalier de Jury les Metz, ELSA, CHR Metz

Depuis 1983, année de mon internat en Psychiatrie jusqu'à 2014 : plus de 30 ans de psychiatrie mais aussi 30 ans d'addictologie !

"Tout a changé, et rien ne change" pour paraphraser la phrase de TANCREDI dans "Le Guépard" de LAMPEDUSA. Nous sommes dans une transition, toujours d'un ordre ancien à un nouvel ordre.

Le soin au malade alcoolique se partageait déjà entre le service de gastro-entérologie, le service de nutrition et le service de psychiatrie.

A la gastro-entérologie les cirrhoses, les encéphalopathies alcooliques, les carences, les sevrages simples. A la psychiatrie les troubles du comportement, les malades dangereux, la contrainte...

Pas ou peu de toxicomanes à l'hôpital général, craints et renvoyés vers des services plus cadrants de l'hôpital psychiatrique ou sur des suivis plutôt sociaux avec des associations plus ou moins sectaires comme sur Metz le L.S.D. "Le soleil dominerait" remplacée depuis par le CMSEA et un CSAPA avec des familles d'accueil dans le Périgord, région de Cahors...

Les toxicomanes à Cahors, les alcooliques en Alsace (Chateau walk, Marienbronn...)

Premier souvenir d'interne en psychiatrie, de psychiatre addictologue :

Un ouvrier agricole pyromane, convoqué au dispensaire d'hygiène mentale tous les six mois pour renouveler ses implants de 6 comprimés d'Esperal glissé en sous cutané sur le gras du ventre....

Autre souvenir :

Des patients "condamnés" à être abstinent, poussés par les familles, les employeurs, les médecins, à des hospitalisations sans aucune motivation, venant à reculons, pour faire des sevrages voués à l'échec avant même d'avoir commencés, en attendant d'aller dans des mystérieuses post cures.

Une dizaine ou une quinzaine de jours de sevrage avec des lettres de Fouquet, une cure de trois jours à l'Esperal avec des effets antabuses garanties avec leur alcool favori et enfin le transfert en post cure pour trois mois, comme un rite d'initiation avant le seul suivi ambulatoire régulier possible : les AA.

Un autre très mauvais souvenir :

Un gardien de prison dans l'obligation de se soigner, très peu motivé, chez qui d'emblée on porte un très mauvais pronostic, condamné à l'abstinence et à l'échec avant même d'avoir commencé ses soins et qui, la veille d'être transféré, à "Marienbronn" fugue du service pour "une dernière ivresse. Réintégré à l'hôpital en état d'agitation alcoolique avancé, il passe par la chambre d'isolement où il se pend en "maton expérimenté" au crochet du laveur de vitres.

Trente ans après, je rencontre le controversé Olivier AMEISEN qui publie dans son livre "Le dernier verre" une lettre de son psychanalyste que nous connaissons bien dans cette association, Jean Paul DESCOMBEY l'auteur de "L'homme alcoolique", témoignant de sa transformation radicale sous BACLOFENE.

AMEISEN m'a fait évoluer sur un socle du soin en alcoologie qu'était l'abstinence. Auparavant point de salut sans abstinence, sorte de rédemption de l'ancien buveur.

AMEISEN lui parle de supplice chinois, infligé au malade. Sa maladie, qui est justement de ne pas pouvoir s'abstenir, comporte comme traitement l'obligation de s'abstenir. On intime une injonction intenable : c'est plus facile d'être à 0 gouttes que d'avoir l'illusion de pouvoir consommer avec modération...

Pour AMEISEN, lutter contre le craving, c'est la certitude d'une tension psychique, d'une lutte permanente de gens plein de bonne volonté et qui veulent réellement se soigner et qui pourtant se termine dans une rechute, une mise en échec, une culpabilité avec là aussi une grande désillusion : ils ne pourront jamais y arriver.

AMEISEN prône l'indifférence à l'alcool et non pas l'abstinence.

Le patient reste auteur de ses choix, il peut choisir l'abstinence ou non, le soignant l'accompagne là où il en est, là où il est prêt à aller, acceptant le malade dans son parcours et sa trajectoire. L'abstinence n'est plus alors l'alpha et l'omega du soin en alcoologie.

L'origine de l'abstinence comme traitement nous vient des premiers psychiatres américains de la fin du 19ème siècle qui se sont intéressés à la maladie alcoolique. Les migrants, la terre de tous les espoirs mais aussi cette société américaine extrêmement violente, font de l'alcoolisme un fléau particulièrement répandu. Les sociétés néphalistes ont succédé aux ligues de vertus de cette Amérique puritaine qui débouchera sur la prohibition.

Il y a des usagers non malades et il y a des usagers qui tombent malades : la différence ? Une maladie allergique où la molécule alcool, comme certains sont allergiques au pollen, vient expliquer que certains peuvent boire et pas d'autres. Cette conception empirique de l'alcool comme molécule allergisante explique ce dogme de l'éviction de toute molécule d'alcool prôné par les AA comme le vin dans la cuisine ("coq au vin", "choucroute au riesling"...) ou l'interdiction d'utiliser les parfums et les après rasages.

Le traitement en fait est plaqué de façon obligatoire à des patients qui ne sont pas prêts et qui subissent une injonction qui les exclus en tant que sujet par des médecins qui imposent des protocoles qui sont notoirement inefficaces, avec un taux de rechute extrêmement élevé. On exclut le patient du choix de sa stratégie de traitement et il n'est plus un sujet pensant, acteur de ses soins, il doit se soumettre à un ordre moral : l'abstinence.

Aujourd'hui, la prise en charge est rapidement opposée : on propose des entretiens motivationnels, on refuse les traitements sous contrainte même chez des patients addicts et en grand danger, on éclaire les patients sur des risques qu'ils encourent, on propose un travail psychologique en associant le patient activement à ses soins et, pour ceux qui sont en échec et récidive, on propose ce traitement considéré par certain comme miraculeux : le BACLOFENE.

C'est vrai que le BACLOFENE est un produit qui plait, qui a été imposé par les patients contre l'avis de beaucoup de médecins et une fois de plus cette grande avancée dans la prise en charge s'est faite malgré les médecins et grâce au lobbying des patients (énorme succès sur internet des blogs sur le BACLOFENE, 50 000 patients traités illégalement par un traitement qui plait). Les patients se sont appropriés leur traitement.

J'ai donc rapidement, après la sortie des premières études d'AMEISEN et de BEAUREDAIRE, pris sur moi de prescrire hors AMM, en informant les patients et en leur faisant signer un accord de traitement expérimental, un traitement par BACLOFENE.

Nous étions relativement peu nombreux à accepter de prescrire, jusqu'à ce qu'un certain nombre de généralistes s'engouffrent également dans cette voie et se mettent à prescrire, parfois en dehors de toutes recommandations de bonnes pratiques.

Mon premier cas clinique était représenté par une femme, rencontrée à plusieurs reprises au service des urgences dans un contexte suicidaire, avec un refus d'accepter l'homosexualité de son fils et une dérive professionnelle. Infirmière libérale, commençant à avoir de grosses difficultés dépressives et d'alcoolodépendance. La patiente était en grande difficulté avec ses collègues de travail qui se sont plaintes de son comportement alcoolique pendant son travail auprès de l'ordre des infirmiers. Elle a également été convoquée par le médecin inspecteur de l'ARS en raison d'un comportement alcoolisé pendant son travail.

Malgré de multiples sevrages et également post cures, les rechutes suivaient très rapidement ses démarches de soins.

Dans ce contexte de récidive, de prises de risques importantes tant sur le plan santé, que sur le plan psychologique, que sur le plan somatique, je lui propose cet essai au BACLOFENE qui s'avère une véritable transformation de son état. Elle présente, dans un premier temps, un épisode un peu d'hyperactivité, d'hyper expressivité qui passe plutôt pour un trouble du caractère avant que finalement, je ne prenne conscience qu'il s'agit en fait d'un authentique état hypomane. C'est à ce moment là, après trois de suivi, que je prends conscience qu'il s'agit de la sœur d'un patient bipolaire que j'ai soigné trente ans auparavant qui s'est suicidé après avoir fugué de l'hôpital ; je n'avais jamais fait le lien entre cette femme que je suivais depuis plusieurs années et ce frère et ses antécédents familiaux. Tout d'un coup pour moi c'est la révélation, je la traite comme une bipolaire, je lui mets un régulateur de l'humeur et dans l'association régulateur de l'humeur et BACLOFENE, elle est transformée et évolue dans un contexte tout à fait différent, avec une émotion psychothérapique bien plus favorable. Elle arrête son travail, accepte sa retraite malgré les conflits avec ses associés et une mise à l'écart de ses conflits familiaux. Au bout d'un an de BACLOFENE, elle décidera d'arrêter progressivement son traitement et elle à ce jour elle continue, après plusieurs années, à aller bien, sans aucun autre traitement qu'un régulateur de l'humeur.

Ma deuxième expérience est aussi un patient dans une situation de désinsertion sociale, familiale et professionnelle, avec trois ans d'arrêt de travail et des alcoolisations massives quasiment suicidaires. Il fera un sevrage flash au Centre d'Accueil et de Crise et, en quatre jours, suivis de BACLOFENE, il va évoluer de façon tout à fait spectaculaire, arrêter l'alcool de façon quasiment "magique" et reprendre le travail. Il va se remettre en marche et, avec l'accompagnement de réhabilitation professionnelle, le BACLOFENE lui aura servi de déclic et de mise à distance de sa consommation d'alcool. Belle évolution de plusieurs années jusqu'à une rechute et il est décédé il y a quelques semaines après une chute dans les escaliers et un abus, une ivresse qui commençait à se répéter.

Donc le BACLOFENE n'est pas un traitement "magique" que je propose à mes patients mais il peut être, dans la trajectoire de ces patients, un moment extrêmement utile, qui leur permet pour certains, mais pas tous, avec un accompagnement ambulatoire très régulier et surtout des motivations suffisantes, d'être un traitement qui donne le petit coup de pouce nécessaire à cette indifférence chez les patients suffisamment motivés et réellement motivés de se soigner.

D'autres arguments sont actuellement très en vogue pour aller plutôt dans un sens de diminution des risques comme dans la toxicomanie et l'abstinence parait maintenant céder le pas à la réduction des dommages.

L'étude de l'INSERM en 2011 montre que pour des buveurs excessifs consommant plus de 10 verres par jour, il suffit de leur faire diminuer de trois verres pour faire baisser de façon spectaculaire leur sur mortalité. De même des études montrent que entre les moyens sanitaires extrêmement importants qui prennent en charge qu'un très petit nombre de patient extrêmement lourds et souvent en échec thérapeutique, il serait préférable, sur un plan de santé publique, de mettre l'accent sur une diminution des mésusages et des usages à risque. Seul 8% de la population souffrant de maladie alcoolique accèdent à des soins et il serait dans ce cadre de santé publique plus intéressant de mettre l'accent sur une diminution des dommages et une diminution des consommations excessives.

Sur 5 millions de buveurs excessifs et 2 millions de malades alcooliques, seulement 150 000 seraient réellement soignés, ce qui représente un rapport coût/efficacité en santé publique très faible.

L'importance est donc mis maintenant sur cette réduction des dommages, s'appuyant plus sur la médecine générale que sur les médecins spécialistes, psychiatres, addictologues ou autres spécialistes tournant autour de la prise en charge médico sociale des addictions afin d'avoir, en terme de morbidité, une nette diminution de la consommation. Dans ce contexte, on détermine les objectifs thérapeutiques avec le patient. C'est le patient qui agit et nous avons beaucoup plus de chance d'atteindre un objectif si il s'est fixé cet objectif proposé plutôt que imposé. Il est illusoire de vouloir faire atteindre ces objectifs s'ils ne conviennent pas au patient. Nous traitons les patients et les problèmes qu'ils souhaitent aborder et œuvrons plutôt pour un objectif adapté. Le résultat est donc lié à l'objectif que le patient s'est fixé.

Une consommation contrôlée apparait nécessaire pour certains et représente surtout une question culturelle sur la représentation que les soignants ont de leur objectif thérapeutique. Est ce qu'il vaut mieux un patient ayant une réduction de sa consommation d'alcool ou est ce qu'on considère qu'un patient guéri est un patient qui ne boit plus ?

Cependant, le risque de rechute est extrêmement lié à la dépendance, dépendance qui n'apparait plus dans le DSM V où on aborde plus maintenant que les troubles liés à l'alcool.

La réduction de consommation pour certains patients est alors une étape vers l'abstinence. Cette étape permet d'éviter la mise en échec.

Mise à jour le Mardi, 03 Juin 2014 08:05