À propos de la féminisation des équipes infirmières en psychiatrie

Mardi, 01 Mai 2001 01:00 B.Franck, M.Jarosz, J.C. Rotolini
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Béatrice FRANCK
Michel JAROSZ
Jean-Claude ROTOLONI

A. INTRODUCTION

L’hôpital général est créé sous le règne de Louis XIV par l’Edit royal du 29 avril 1656. L’institution se donnait pour tâche d’empêcher « la mendicité et l’oisiveté comme les sources de tous désordres ».
A Paris, l’hôpital général est affecté aux pauvres « de tous sexes, lieux et âges, de quelque qualité et naissance et en quelque état qu’ils puissent être, valides ou invalides, malades ou convalescents, curables ou incurables ». L’église participe au mouvement avec Saint Vincent de Paul et les frères Saint Jean de Dieu. Si l’hôpital général n’est pas uniquement répressif, il est certain que l’on en sort difficilement. Les hospitalisés sont internés, c’est « le grand renfermement ».
En 1785, l’instruction de Doublet et Colombier prévoit que « même les insensés doivent recevoir des soins et peuvent espérer la guérison ».
En 1790,après la Révolution, on prévoit la construction de grands hôpitaux destinés au traitement des insensés. Il faudra, faute de financement, attendre plusieurs décennies pour voir se réaliser ce projet.
Le 25 août 1793, Pinel libère les insensés de leurs chaînes à Bicêtre.1) Naissance de l’asile
La loi du 30 juin 1838 prévoit que chaque département devra créer « un établissement spécialement destiné à recevoir et à soigner les aliénés ». Un règlement modèle des asiles est édicté par la circulaire de 1857, mais il faut attendre la troisième République pour que les principaux asiles soient créés. La psychiatrie quitte l’hôpital général. C’est le début de la période dite « asilaire ».
En 1902, le Concours national de recrutement des aliénistes engendre un corps médical d’une grande uniformité, isolé dans sa spécialité et dans son statut. Le recrutement des infirmiers se fait en fonction de leurs capacités à maintenir l’ordre.
Les religieuses, dont l’effectif est croissant depuis la Restauration, allaient trouver leur plus redoutable adversaire chez Bourneville. Sans relâche, celui-ci allait dénigrer leurs pratiques, comptabiliser les preuves de leur négligence à l’égard des malades et souligner leur incompétence quant aux soins des aliénés. « Dans la très grande majorité des cas, nous dit-il, les religieuses sont loin de réaliser l’idéal qu’on se fait d’elles ; elles sont désobéissantes aux ordres du médecin, rebelles aux injonctions de l’administration ; loin d’être dévouées aux malades, elles ne s’en occupent pas… Elles ne possèdent aucune notion d’hygiène, elles professent même, pour elles, le plus profond mépris ; la médecine, la science, tout cela sont autant d’inventions diaboliques… Elles considèrent la folie comme un résultat du pêché, font des lectures mystiques à des malades atteints de folie religieuse ».
C’est dans ce contexte qu’il faut resituer l’émergence de la profession infirmière.
Selon la thèse de Léonard, Bourneville, élu dès 1876 au conseil municipal radical socialiste de Paris dont il devient très vite le rapporteur du budget de l’Assistance Publique, préconisera pour saper la concurrence des sœurs hospitalières, mais encore celles des religieuses pharmaciennes de province, la laïcisation des hôpitaux où elles sont censées se former. En échange de quoi, il réclamera la création d'écoles d’infirmières et d’infirmiers pour les remplacer.
Pour notre part, nous croyons que la création de ces écoles qui allait s’étendre aux asiles pour les mêmes raisons, avait aussi comme objectif de relever le niveau de recrutement et, par-là même, le niveau social et intellectuel du personnel laïc. La mise en place d’une formation professionnelle et l’attribution d’un diplôme ne pouvait que contribuer à donner un statut et, en même temps, valoriser les fonctions de ce personnel. Mais encore, en formant les employés, on éliminait aussi ceux qui acceptaient ce travail pour « hiverner ».2) La Salpêtrière et Bicêtre : lieux de naissance de la profession infirmièreDésiré Magloire Bourneville obtiendra satisfaction dès 1878. Le 1er avril s’ouvre l’école des infirmières de la Salpêtrière et le 20 mai suivant celle des infirmiers de Bicêtre.
Ces écoles seront le berceau de la profession infirmière, aussi bien en médecine générale qu’en psychiatrie.
En effet, si la fonction infirmière existe depuis la fin du 13ème siècle avec l’apparition du mot « enfermier » (1288), c’est bien à la charnière du 19ème et du 20ème siècles, avec la mise en place de ces premières écoles de l’Assistance Publique de Paris et avec la circulaire du 28 octobre 1902 rappelant la nécessité de développer cet enseignement professionnel, que les appellations d’infirmiers et d’infirmières utilisées pour le personnel soignant des asiles d’aliénés, tout comme pour celui des hospices et hôpitaux, furent officiellement et définitivement adoptées, reléguant, par-là même et peu à peu, les termes de « serviteurs, gardiens, filles de service ou servantes ».
Bien que ce changement d’appellation concerne aussi bien le personnel diplômé que non diplômé, comme nous l’avons nous même vérifié sur les registres de l’asile de Villejuif, par exemple, pour les cinq premières années qui suivirent son ouverture (1884-1889), il sera plus long à s’appliquer dans les asiles que dans les hôpitaux. Effectivement, jusque dans les années 1930-1940, dans certains établissements privés, le terme de « gardien » subsistera encore pour le personnel soignant non diplômé.
La persistance dans le temps de cette terminologie exprime, évidemment, que le gardiennage reste une des tâches essentielles du personnel des hôpitaux psychiatriques, contribuant à ne garder de ces soignants qu’une image négative. Ceci nous expliquerait pourquoi, dans tous les récents ouvrages consacrés à la profession infirmière, dont les auteurs sont généralement des infirmier(e)s de médecine générale, il n’est jamais fait mention des origines communes des infirmiers de secteur psychiatrique et des infirmières diplômées d’état : deux formations qui sont, en réalité, les deux branches d’une même profession ; tout comme la psychiatrie est une spécialisation de la médecine. Cela est d’autant plus remarquable que les premières écoles s’ouvrirent, non pas dans des hôpitaux ordinaires, mais dans les deux grandes maisons de l’ancien Hôpital Général, fondé lui-même par décret royal en 1656 et destiné au Renfermement des pauvres mendiants de la ville et faubourgs de Paris. Théâtres du « grand renfermement », ces deux hospices furent encore, dès la fin du 18ème siècle, les lieux de naissance de l’asile moderne et de la psychiatrie française. Un siècle plus tard, malgré la construction des nouveaux asiles de la Seine, ils gardèrent, en partie, leur dernière destination.

B. HISTORIQUE DE CARRIERE

Jusqu’en 1921, où le Conseil Supérieur de l’Assistance Publique suggère la création d’écoles professionnelles pour l’instruction technique des infirmières d’asiles, la population soignante n’était constituée que de personnes non qualifiées (vagabonds, naufragés de la société…)
En 1940, la pénétration timide des travaux de Freud rend nécessaire la formation d’auxiliaires médicaux.
En 1922 : institution d’un brevet de capacités professionnelles pour les infirmiers et la spécialité hygiène mentale est enseignée.
1930 : la situation des infirmiers d’asile est organisée avec un enseignement sur cinq ans.
Jusqu’en 1955 (28 juillet), le gardien s’improvise comme infirmier. A partir de cette date est organisée de façon cohérente la formation du personnel soignant des hôpitaux psychiatriques sur deux ans.
La 2nde guerre mondiale et ses conséquences dans les hôpitaux psychiatriques occupent le devant de la scène.
Mais cette période marque la rupture entre le secteur généraliste et le secteur psychiatrique.
L’évènement important est l’arrêté du 3 février 1949 limitant l’exercice infirmier des infirmiers psychiatriques aux seuls hôpitaux psychiatriques. Par contre, les IDE peuvent travailler dans les deux secteurs sans complément de formation.
- est-ce le départ de la féminisation en psychiatrie ?

Jusqu’en 1990, aucune enquête et distinction n’a été faite au niveau de la comptabilité homme et femme dans la profession infirmière. C’est lors d’une enquête en 1990 qu’un comptage a été réalisé localement (DRASS Rhône-Alpes).
- Les études étaient payées jusqu’en 1992. Est-ce que cela pouvait être une motivation pour les hommes ?

Autres hypothèses :
- l’institution de la mixité pour les patients dans les services de soins ?
- le diplôme unique ?
- l’avènement des neuroleptiques a-t-il contribué à la féminisation ? actuellement :
. La mise en œuvre des Projets Sociaux dans les établissements hospitaliers en 1994 permet une quantification de la population hommes / femmes dans les équipes de soins.
. Il apparaît que la proportion sur l’ensemble du personnel soignant (IDE, AS, éducateurs…) se situe aux alentours de 38% d’hommes.
. D’après les renseignements pris dans les IFSI, il y aurait 10% d’hommes par promotion, et sur ces 10%, 5% serait intéressé et motivé pour travailler en psychiatrie.

C. EXPERIENCE PROFESSIONNELLE

CHR de Thionville :
- 2 services de psychiatrie adulte, de chacun 22 lits d’hospitalisation
- 1 service de pédopsychiatrie
Psychiatrie adulte :
Jour : Service 203 : 2 hommes pour 14 femmes
Service 204 : 3 hommes pour 13 femmes
Nuit : Services 203 et 204 : 4 hommes pour 7 femmes
Pédopsychiatrie :
4 hommes pour 8 femmes (sur les 4 hommes : 3 éducateurs spécialisés et 1 infirmier)
Hypothèses :
- Non-reconnaissance du diplôme IDE à Bac + 3
- Grilles des salaires non adaptées aux autres pays de la CEE
- Promotion de carrière en psychiatrie très limitée
- Les jeunes IDE sont plus attirés par les services techniques (SAU, Anesthésie, Réanimation…)Incidences
Remarques personnelles sur notre pratique :
- Le manque d’effectif masculin fait que le personnel restant est à nouveau de plus en plus sollicité pour le côté « musclé » des soins :
. mise en chambre d’isolement,
. agitation, traitement injectable,
. mobilisation du patient en surcharge pondérale dans les autres services de soins généraux,
. brancardage.
- A l’inverse, ce manque d’hommes accentue le sentiment d’insécurité au sein des unités de soins.
- Manques de repères, surtout pour les patients psychotiques et la pédopsychiatrie dans les prises en charge individuelles. Doit-on revoir et reconsidérer les notions théoriques de prise en charge pour ces patients (image du couple parental) ?
- Déséquilibre de la dynamique des équipes, et manque de complémentarité dans l’approche des patients et la réflexion sur les soins (ressenti différent entre hommes et femmes)

D. PERSPECTIVES D’AVENIR

Les éléments dont nous disposons actuellement sur le devenir de la psychiatrie nous laissent perplexes et pessimistes :
- fermetures de services et d’établissements psychiatriques,
- diminution des lits d’hospitalisation,
- pénurie des psychiatres,
- féminisation de plus en plus importante des équipes de soins,
- augmentation de la violence dans l’hôpital,
- diminution des quotas IDE dans les équipes, qui entraînera une baisse de la qualité des soins.

E. QUELLES REPONSES PEUT-ON ENVISAGER ?

Faire de la psychiatrie une spécialité à part entière,
- Mener des réflexions dans chaque établissement sur la sécurité dans le contexte des soins,
- Créer et formaliser des partenariats intra-services (par exemple avec le SMUR, les urgences),
- Intégrer dans la F.C. la gestion du stress et de la violence,
- Création de réseaux pluridisciplinaires extérieurs à l’établissement (police, justice, mairies, partenaires sociaux…),
- Développer au sein des équipes le rôle propre infirmier, qui ne peut pas prendre toute sa dimension réelle face au poids de la culture générale de l’hôpital,
- Revaloriser l’image de l’Hôpital public dans le dispositif de soins.

QUELQUES STATISTIQUES :

Au 1er janvier 2000, la France compte 376 627 infirmier(e)s.
12,7 % sont des hommes (y compris le secteur psychiatrique), soit 47 888 infirmiers. Cette profession est donc majoritairement féminine. Elle est aussi très diversifiée.Répartition par secteurs d’activités :L’activité salariée reste prédominante puisqu’elle concerne plus de 85 % des infirmiers en activité.(*)Dans un ordre décroissant :
- l’hôpital public est de loin le plus gros employeur avec près de 180 000 emplois, dont 14,5 % d’hommes,
- le secteur intermédiaire en compte 13,99 %,
- les hôpitaux privés 12,14 %,
- les ministères 12,52 %,
- les entreprises 11,56 %.
L’activité libérale concerne plus de 14 % d’infirmier(e)s, et elle compte 13 % d’hommes environ.(*) Répartition par catégories professionnelles :

Dans les hôpitaux publics, nous trouvons environ :
- 20 % d’hommes environ chez les infirmiers psychiatriques,
- 13,5 % d’IBODE (Infirmiers de Bloc Opératoire Diplômés d’Etat),
- 21 % d’IADE (Infirmiers Anesthésistes Diplômés d’Etat),
- 20 % de cadres et de cadres supérieurs,
- 18 % d’IG (Infirmiers Généraux).

Environ 13 % des infirmiers exercent en libéral, c’est à dire pour leur propre compte et donc choisissent l’indépendance.


Nous concluons cet exposé sur la féminisation des équipes de soins par une pensée de FREUD :
« Nous disons que l’être humain a deux objets sexuels originaires : lui-même et la femme qui lui donne des soins »


Béatrice FRANCK
F.F Cadre Infirmière - Psychiatrie Adulte
Michel JAROSZ
Cadre Infirmier – Pédopsychiatrie
Jean-Claude ROTOLONI
Cadre Infirmier – Psychiatrie Adulte
C.H.R. Thionville (Moselle)

(*) Ministère de l’emploi et de la solidarité : Direction de la Recherche et des Etudes de l’Evaluation et des Statistiques (D.R.E.S.S.) : répartition des infirmiers (y compris psychiatriques) par secteurs d’activité.

Mise à jour le Vendredi, 28 Mai 2010 09:33