Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Les évolutions de la psychiatrie de secteur au regard de l’évolution du médicament

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LES EVOLUTIONS DE LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR AU REGARD DE L’EVOLUTION DU MEDICAMENT


« On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme où à l’animal, en vue de corriger ou modifier leurs fonctions organiques »

PINDARE avait assigné à la médecine trois instruments : le couteau (la chirurgie ), les plantes ( la pharmacie ), et les incantations (pouvoir de l’esprit )

Déjà, on peut s’interroger sur le concept de « médicament ». Pourquoi quelque chose que l’on va, par exemple, ingérer, va « soigner » ?
Un détour par la Grèce antique est nécessaire. En Grèce le « PHARMAKON » représentait le poison et son antidote (et il est à l’origine des mots pharmacie et pharmaceutique comme l’indique B. LACHAUX et P. LEMOINE)
Cette ambiguïté, la vie et la mort dans le même produit, est sans doute difficile à comprendre dans le monde moderne.
Le pouvoir de vie et de mort est toujours bien présent dans le médicament (pensons aux fameux « effets secondaires » ou aux « aléas thérapeutiques »). Il pèse aussi dans pratique médicale où il est, pour bonne part, à la source du pouvoir médical.
C’est aussi l’histoire de Dr Jekyl et Mr Hyde ( mais lui-même est médecin, participant de cet ordre qui à pouvoir de vie ou de mort. Cela expliquerait que ce n’est pas la sanction de la mort qui survient après la prise de la potion par le Dr Jekyl mais «  l’anormal » et ensuite que le retour au « normal » est possible, dans une répétition).

Peut être peut-on aussi comprendre le Pharmakon à l’aide du « PHARMAKOS » qui est sans doute à son origine. Le pharmacos était le pauvre que la citée grecque entretenait à grand prix pour, en cas de catastrophe pour la ville le sacrifier après l’avoir promené dans tous les lieux de malheur.
Ainsi en quelque sorte le Pharmacos venait s’imprégner du mauvais qui était ensuite expulsé avec sa mort. Il en est de même du Pharmakon, puis du médicament qui va rassembler puis expulser le mauvais. L’on prendra pour image la « collection » de l’abcès puis sa suppuration, ou le Clystère qui évacuait les « mauvaises humeurs » et pourquoi ne pas situer aussi la « catharsis » dans ce cadre.

On mentionnera que pour les Grecs, la médecine est quelque chose qui participe de la philosophie du « bien vivre », d’un équilibre chez l’homme. Tout cela avant que ne s’individualise le concept de santé, loin d’une médecine technicienne (ou prestataire de services )

LA PSYCHOSE ET LE TOURNANT DE LA PSYCHIATRIE MODERNE


Pendant longtemps, on a essayé, pour soigner le malade mental, de stimuler les réactions de l’organisme. Dans les années 1950, LABORIT propose un autre concept : l’hibernation artificielle. Il s’agit de mettre en sommeil artificiel le patient, de réduire tous les échanges. Et c’est pour cela qu’il va essayer différents sympatholytiques dont la chlorpromazine (LARGACTIL * qui veut dire « large action »)
LABORIT remarque que ce produit induit un « désintéressement » (indifférence psychomotrice)
La chlorpromazine est alors confiée par le laboratoire pharmaceutique aux psychiatres DELAY et DENICKER qui confirment l’action chez le schizophrène chez qui il réduit de façon important l’angoisse. De 1952 à 1964 sont découverts l’essentiel des neuroleptiques classiques.

Dès la fin de la guerre, en partie en réaction contre l’enfermement et l’extermination, le soucis d’humaniser les hôpitaux psychiatriques a été présent. On attendait beaucoup de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle. Paradoxalement le changement vint de la PHARMACIE.
On sait combien les neuroleptiques ont modifié l’atmosphère des unités de Psychiatrie.
A partir du moment où la psychiatrie a eu des médicaments efficaces, elle n’a eu de cesse de rejoindre le corps de la médecine comme toutes les autres spécialités.

Autrefois à la croisée de la psychologie et de la philosophie, il a fallu avec cette révolution que la psychiatrie fasse ses preuves de discipline scientifique.

Là où autrefois c’était une personne qui était entendue, à partir de ce moment là on a commencé à rechercher des signes, non plus dans un soucis de diagnostic, mais dans une quête de symptômes prédictifs d’une réussite du traitement. La porte des nouvelles classifications était ouverte.

Et puis, si les neuroleptiques vont permettre de pacifier l’intra-hospitalier, ils vont surtout permettre de faire sortir les patients.
La psychiatrie devient alors une discipline extra-hospitalière.

La PSYCHIATRIE DE SECTEUR devient possible.
Si le neuroleptique ne modélise pas la psychiatrie de secteur, il est un outil qui l’autorise. En 1963, sont découvert les neuroleptiques retards avec le MODITEN RETARD *.
On aurait pu penser qu’ils allaient caractériser la psychiatrie de secteur, or cela n’a pas été le cas.

Si certaines prises en charge sont rythmées par l’injection faite par l’équipe infirmière au CMP ou au domicile, on voit bien que les patients ne bénéficient pas en majorité de cette thérapeutique.
Dans la logique, le neuroleptique est le traitement de la psychose, le neuroleptique retard permet une bonne observance et une diffusion correcte du principe actif, le patient est à son domicile et vient voir le soignant régulièrement, il devrait s’en suivre que tous les patients bénéficient de ce traitement. Cela montre qu’entre la base « scientifique » et la pratique, il y a bien un hiatus.

Au fond, tout se passe comme si l’idée du neuroleptique retard contribuait à la prise en charge ambulatoire, et si sa non-utilisation systématique ménageait la liberté du patient (ce qui est sans doute utile quand on parle de l’effet camisole chimique du neuroleptique et du contrôle social autour du neuroleptique retard, sans oublier l’image politique du neuroleptique après les utilisations liberticide dans les « goulags »)

« LA PETITE BIOLOGIE » (« Comment la dépression est devenue une épidémie » Ph. PIGNARRE Pluriel)


Ce qui caractérise les neuroleptiques c’est :

une action psycholeptique («serrer les nerfs ») sans action hypnotique
une action inhibitrice à l’égard de l’excitation, de l’agitation, de l’agressivité et une réduction des états maniaques
une action réductrice vis-à-vis de certaines psychoses aiguës et chroniques, et vis-à-vis des psychoses expérimentales
l’importance des manifestations psychomotrices, neurologiques et neurovégétatives
la prédominance de l’action sur les centres sous corticaux.
Il est toujours surprenant de voir que les neuroleptiques sont caractérisés par le lieu cérébral de leurs actions et par leurs effets dits secondaires.

Ph. Pignarre explique cela et il l’appelle « La Petite Biologie »
Habituellement, la démarche pour valider un nouveau médicament consiste à prendre un sujet d’expérience malade, à lui donner le traitement et à juger du résultat. Par exemple, pour tester un antibiotique par rapport à tel germe, on va inoculer le germe à un rat qui développe la maladie, puis lui donner l’antibiotique pour voir s’il est efficace.
Ce modèle n’est pas utilisable en psychopharmacologie car il n’y a pas de « psychose expérimentale » animale.
Que s’est-il alors passé ? Les chercheurs, à partir du moment où il a été repéré que la chlorpromazine avait un effet sur la psychose, ont donné à l’animal ce produit. Puis, ils ont fait passer à cet animal des tests expérimentaux. (simples puisque l’on est en expérimentation animale). Ils ont relevé les résultats de ces tests. Ils ont ensuite élaboré toute une gamme de produits (souvent à partir de modifications de la molécule de chlorpromazine), et ils ont donné ces produits à l’animal. Ils ont retenu les produits qui fournissaient les mêmes effets aux tests chez l’animal que la chlorpromazine.
Certes la manipulation pharmacologique est belle, mais elle nous leurre sur le coté scientifique du médicament. Le mécanisme n’est pas déductif, il est inductif : rien n’est expliqué. Et encore aujourd’hui la psychiatrie biologique qui est basé sur une biologie des récepteurs biochimiques, fournie une explication sur le fonctionnement des psychotropes, permet peut être de les sélectionner, mais ne permet pas de les créer, ne permet pas d’expliquer les troubles mentaux.

Pour mention rappelons les 4 phases de l’étude clinique d’un médicament :

phase1 : vérifier la tolérance du médicament
phase 2 : tester chez un malade le meilleur effet /dose
phase 3 : essai comparatif chez des patients se rapprochant le plus de la pratique courante et pendant une période d’environ 3ans
phase 4 : phase d’étude sur une plus large population (phase marketing) .

QU’EN EST-IL DE LA DEPRESSION ?


En 1955, c’est la découverte du premier antidépresseur : l’imipramine (LAROXYL *). Là aussi découverte par hasard, modification de la formule de la chlorpromazine par un laboratoire à la recherche d’un nouveau neuroleptique.

A l‘époque, le laboratoire n’est pas intéressé et ne veut pas développer la molécule. En fait, on estimait alors que le marché porteur était la schizophrénie ( qui, il est vrai, a toujours été la maladie « noble » de la psychiatrie)

Sans doute que durant ces années, ce qui venait à l’esprit quand on parlait de dépression concernait plutôt la mélancolie.

Depuis le concept de DEPRESSION a connu les développements que l’on sait, renvoyant à de toutes autres connotations. Nous n’allons pas travailler dans cette réflexion sur ce qui a conduit à l’explosion démographique de la dépression. Prenons note simplement de cette donnée.

Schématiquement les patients qui utilisent les nouveaux antidépresseurs sont moins dans le registre de la dépression majeure, avec moins de douleur morale, moins de ralentissement psychomoteur, moins de culpabilité, mais sont plus anxieux, plus compulsifs ou phobiques, avec des sentiments de vide intérieur plutôt que de tristesse.

Mais comment faire le diagnostic de dépression ?

Déjà, on sait bien qu’en psychiatrie un diagnostic ne peut être fait que par un interrogatoire au sein d’un entretien médecin/patient. La subjectivité de l’acte diagnostic parait évidente.

Il a donc fallu trouver des outils de diagnostic, c’était au départ les classifications nosographiques avec leurs relevés de symptômes.
Puis, et cela sans doute en particulier avec le développement de la dépression, est apparu un souci épidémiologique. Dans une démarche de comparaison, il a fallu trouver des critères minimums pour que tout médecin puisse faire le diagnostic ( le même ) et cela dans les différents pays. Cela a conduit au caractère « universel » de la dépression.

C’est ainsi qu’a été élaboré le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux édité par l’ASSOCIATION AMERICAINE DE PSYCHIATRIE )
Les DSM ont choisi de travailler sur des troubles plutôt que sur des sujets, plutôt sur la classification des variables cliniques que sur la nosographie psychiatrique ( il n’y a plus de maladie mais des « troubles ») Enfin, à partir du DSM III, les auteurs s’engageaient à « avoir une utilité clinique permettant de prendre des décisions pour le traitement et la conduite à tenir, dans des situations cliniques variées »  
On comprend bien qu’à partir de là, une démarche dialectique (où au moins de réciprocité ) s’instaure entre le médicament et la classification. Par exemple, les antidépresseurs vont être plutôt incisifs ou plutôt sédatifs, et les classifications vont tenter de faire apparaître des symptômes en rapport, qui pourront être prédictifs de l’emploi de tel ou tel antidépresseur.
DSM IV Critères d’un état dépressif majeur

au moins 5 parmi les symptômes suivants avec ou le 1, ou le 2
Humeur dépressive toute la journée
Diminution d’intérêt ou du plaisir pour les activités
Perte ou gain de poids
insomnie ou hypersomnie
agitation ou ralentissement psychomoteur
fatigue
Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inapproprié
Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer
Pensées de mort récurrentes, idées suicidaire ou tentative
Ce n’est pas un épisode mixte
Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération de fonctionnement
non du à une prise de substances
non expliqué par le deuil
On sent bien que l’éclairage porté sur les symptômes font du patient un objet, il n’est plus sujet de son histoire, la maladie devient quelque chose qui lui vient de l’extérieur.
Les démarches psychothérapeutiques faisant appel au patient comme sujet deviennent inadéquates.
Le médicament permet alors de réaliser une économie du travail psychique ( et on peut se demander si la dépression n’est pas le lieu où viennent se retrouver toutes les souffrances subjectives du sujet, dans une démarche d’objectivisation de cette souffrance. La disparition des névroses dans les DSM ne confirmerait-elle pas cela ?)

Mentionnons que cette démarche - classification/médicament - ouvre largement la thérapeutique des troubles mentaux et la rend accessible aux médecins généralistes.
Les médecins (psychiatres compris ) sont formés à rechercher et à dépister ces symptômes, qui sont de nouvelles grilles de lectures ouvrant à la dépression.
La population est énorme.
La dépression dépistée est traitée, souvent améliorée ( le service est rendu ), et le médicament et son producteur récompensé.
D’un autre coté on voit bien que l’on reste dans une mouvance des classifications, en particulier pour ce qui concerne la dépression et les anciens troubles névrotiques.
Les concepts de TOC, de troubles paniques, d’anxiété sociale (pour lequel semble t-il un laboratoire s’est battu car il présentait son produit comme actif sur ce trouble et que « anxiété sociale » était mieux entendu par le public que « phobie sociale ») vont permettre, en découplant la maladie de la psychopathologie, d’essayer différents médicaments. Et c’est ainsi que maintenant les antidépresseurs soignent largement au-delà de la dépression.

Enfin, toujours alimenté par cette difficulté de diagnostic, ce glissement des symptômes, on en vient à l’épreuve thérapeutique : si c’est un état dépressif, ça va réagir à un antidépresseur.
Cela se termine par : la dépression, c’est ce qui est soigné par un antidépresseur.

Maintenant il est proposé que le choix des conduites thérapeutique soit basé sur l’évidence based médecine qui est « une méthode de recherche et d’application consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient » On parle aussi de médecine basée sur les faits.

RETOUR SUR LA PSYCHOSE


Si dans un premier temps, c’est la psychose, avec les neuroleptiques qui a modifié les rapports psychiatrie- médicaments, nous venons de voir comment lors d’un deuxième temps, c’est à travers la dépression que les choses ont évolué.
Essayons de voir à présent s’il y a un retour sur la psychose.
Considérons les antipsychotiques ou neuroleptiques atypiques.
Ils restent des neuroleptiques et quand on les défini c’est en rapport aux neuroleptiques classiques.

Les antipsychotiques sont donc :

efficaces sur les symptômes positifs et négatifs
ils entraînent moins de difficultés cognitives
ils ont un effet sur les troubles affectifs
ils ont moins d’effets secondaires (ou des effets secondaires différents )
Pour l’instant, il semble s’agir d’aménagements par rapport aux neuroleptiques classiques.
Au fur et à mesure, les cibles d’attaque des neuroleptiques se modifient.
Au début on insistait sur leur action sur la psychose avec la disparition de la symptomatologie positive.
Puis on a commencé à parler de neuroleptiques actifs sur les symptômes négatifs.
On a insisté après sur des neuroleptiques qui avaient moins d’effets secondaires
Et enfin, à présent il est question du concept de rémission (car il est difficile de parler de guérison )

Tout cela est peut-être question de marketing, cela dit les choses vont quand même un peu plus loin.

Depuis un certain nombre d’année, on voit l’industrie pharmaceutique développer des programmes d’aide au soignant ou de vulgarisation pour les patients ou leur famille.
On ne retiendra pas le fait que ces programmes ont leur marque de fabrique.
Ce que l’on peut noter, c’est que ces programmes reprennent les outils de la psychothérapie institutionnelle, en particulier les réunions soignants-soignés.
Si l’on prend le « Programme PACT  JANSEN CILAG * (dire la maladie, vivre avec son traitement vivre avec la maladie ) on voit qu’il propose un certain nombre de prises en charge que l’on peut qualifier d’institutionnelle soit en intra hospitalier soit en extra hospitalier.
Il y a nécessairement un modèle psychopathologique sous-tendant cette prise en charge.
En fait, on retrouve un certain nombre de recommandations de bon sens qui pourrait rapprocher l’ensemble d’une psychothérapie de soutien (par exemple il vaut mieux avoir une bonne observance du traitement pour mieux se porter )
Le travail du médecin est recentré sur le diagnostic qui abouti à un médicament, les outils de prise en charge dans l’institution lui sont proposés clefs en main (et souvent dévolus à l’équipe infirmière )
Ces concepts, en particulier celui de prise de connaissance du diagnostic ( comme une vérité qui se « dévoile » tout devenant alors compréhensible ), continue à basculer le patient de sa place de sujet vers celle de l’objet (dans un souci illusoire d’objectivité )
Le diagnostic qui est annoncé est celui du médecin. Il n’est pas instauration d’un dialogue pouvant permettre au patient de mettre des mots sur son vécu.
On pensera la même chose des démarches d’accompagnement de la maladie qui renvoient à une acceptation d’un handicap plutôt qu’à une recherche de sens.

Cette démarche est arrivée au moment de la sortie de la loi KOUCHNER sur les droits des patients. Si le droit de savoir est un droit clairement du au patient on peut s’interroger sur le savoir qui doit être délivré.

Et maintenant le patient se rapproche de son produit, se le prescrivant même, exigeant une transparence au regard des effets secondaires, tandis que les calculs du bénéfice /risque conduisent au placebo. C’est peut être par là qu’il faudra guetter les évolutions ultérieures.


Dr Jean-Paul BOYER
CHI de FREJUS SAINT-RAPHAEL

Mise à jour le Vendredi, 28 Mai 2010 10:02  

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