Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Unité pour Malades Difficiles

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Les U.M.D.

Elles représentent le contrepoint de ce qui constitue aujourd'hui la psychiatrie publique en France, à la fois sur les plans théorique, réglementaire et pragmatique.

1. THEORIQUE ET PHILOSOPHIQUE :

Les contraintes sécuritaires s'opposent radicalement à la "libéralisation" des services de secteur, idéal implicite depuis 52 dans les services de psychiatrie ordinaires, devenus "de secteur" depuis 1960.

Cette mise en question de la liberté (en tous cas celle de circuler mais aussi celle d'exercer des violences sur autrui) est incontournable et débouche sur le concept même de liberté non pas seulement entant que valeur mais aussi entant que donnée subjective (je me sens libre, à tort peut-être mais c'est une autre histoire...) et intersubjective : je perçois de même la liberté de l'autre (en tant qu'acteur de ses actes) comme une évidence et c'est sur ce postulat, opérant à défaut d'être indiscutable, que se concrétisera une partie du travail qu'on pourrait qualifier "d'action psychologique" plus que de psychothérapie car cette infiltration par la morale (c'est à dire la problématique de l'action) renvoie plus à l'éducatif qu'au psychothérapeutique tel que nous l'entendons habituellement.

Dès lors, la question de la transcendance devient incontournable en tant que fait anthropologique. Le nier aboutit à une impasse radicale dans cette situation.
L'accepter oblige à repérer ce qui, de notre pratique, renvoie à l'idéologique : soit celle, consensuelle ou présumée telle, du groupe soignant, soit personnelle.

Pour illustrer ce discours qui peut paraître abstrait alors qu'il n'est qu'elliptique, je donnerai un exemple : des collègues qui travaillent en SMPR définissent l'UMD comme un lieu où le patient peut se réapproprier son acte (criminel). C'est un point de vue très riche par la possibilité d'action psychologique qu'il offre, par son effet structurant sur l'institution aussi. Mais comment ne pas voir qu'il est bien difficile de l'inscrire dans un processus psychothérapeutique d'où toute transcendance serait absente.
Le constat de l'épanouissement de certains patients au cours de leur séjour nous oblige aussi à réfléchir sur la question de la liberté. Dans ma brève expérience en UMD, ce sont des femmes qui ont verbalisé l'idée qu'elles n'avaient pu se sentir libres que derrière des barreaux.

2. REGLEMENTAIRE :

C'est l'Arrêté du 14 octobre 1986 qui définit le fonctionnement des UMD et en fait une structure d'une radicale originalité, chargée de traiter des patients particulièrement dangereux dans des conditions de sécurité adaptées.
Dangereux ou difficiles? En pratique ma définition d'une indication convenable, c'est : qui a débordé les capacités de maîtrise de l'équipe soignante (en HP ou en détention).

C'est en effet, le médecin de l'UMD qui décide du caractère adéquat ou non de l'indication ce qui est peu habituel en matière d'hospitalisation publique en France (pas seulement en psychiatrie).

Il n'y a donc jamais d'urgence (le malade étant déjà hospitalisé) puisque toutes les admissions sont programmées, comme dans une clinique privée.

Par contre, tous les patients sont, par définition, en HO. Le processus d'admission est complexifié par, outre le problème des places disponibles, la question de la compétence territoriale des préfets qui nous oblige à faire signer deux arrêtés : celui du département demandeur et celui de notre préfet.

4 UMD se partagent le territoire national (y compris les départements d'outre-mer) ces structures sont extra-sectorielles.

Les malades sont très sélectionnés : par exemple, pour les femmes il y a une trentaine de lits effectivement utilisés pour 30 millions de clientes potentielles.

Mais l'élément le plus original est constitué par les modalités de sortie. Contrairement à la règle générale en médecine, ce ne sont pas les médecins du service mais une commission indépendante du service mais aussi de l'hôpital, qui décide de la sortie. En principe, le patient se présente devant cette commission qui réalise un examen mental dans une situation qui m'évoque celle des concours hospitaliers. Plusieurs psychiatres vont donc échanger leurs opinions sur un cas clinique qu'ils ont vu ensemble, ce qui est exceptionnel dans la pratique hors UMD.

Ce nécessaire questionnement sur la sortie et la nécessité corollaire d'argumentation de la décision recentre sur la clinique.

D'autant que le principe, réglementairement défini, du retour au service pourvoyeur, "économise" de fait, le travail social concret.

Il n'est pas possible ici de fuir dans la "sociatrie" la difficulté que représente le soin à un malade mental.

3. LA PRATIQUE :

Mais rassurez-vous, il y a bien d'autres façons de fuir, malheureusement beaucoup plus aliénantes.

Elles constituent l'essentiel de ce qu'un sociologue style E. Gofman décrirait comme "pratiques instituées" dans une UMD. Ce point de vue extérieur, en quelque sorte ethnologique, nous amènerait à décrire l'UMD comme sous tendue par deux systèmes de référence qui ont chacun leur singularité, leurs rites, leur système de valeur,leurs codes implicites et leur langage (y compris des vocabulaires spécifiques) : l'un c'est le système asilaire, car l'UMD c'est en quelque sorte l'asile dans l'asile, un petit asile dans un grand. Notons que les UMD se situent naturellement dans des structures très anciennes et très volumineuses. Montfavet est l'un des 5 plus anciens "asiles d'aliénés", avec le volume sociologique afférent à cette ancienneté. L'UMD est le coeur, le bastion d'une tradition qui a plus d'un siècle et demi d'existence.
Un symptôme de ce traditionnalisme est représenté par la stabilité des infirmiers : certains vont partir à la retraite après avoir effectué toute leur carrière aux UMD, dans la même unité et parfois avec les mêmes horaires. Cette dimension n'est pas spécifique des infirmiers de cet hôpital où certains chefs de service ont fait toute leur carrière, internant compris.

L'autre référence, c'est le système carcéral. Il est vrai que l'allure du "bloc" est celle d'une prison et ressemble étrangement aux Baumettes, en plus petit. D'autre part, le recrutement de patients comporte un nombre important de "personnalités dyssociales" qui hésitent entre les deux structures depuis toujours et qui valorisent le séjour carcéral au détriment de l'hôpital car ils sont fiers d'être délinquants et pas d'être considérés comme des malades mentaux.

Or ce sont eux qui tiennent le haut du pavé par leurs capacités d'adaptation à un milieu fermé sont souvent excellentes. Leur rêve secret est d'imposer leur loi, celle du sous-groupe qu'ils constituent, à l'ensemble de ceux qui vivent ou travaillent là. Avec les schizophrènes, c'est difficile, avec les autres catégories, et en particulier les soignants, ça se négocie et on trouve des compromis, comme en prison; On se rend service, mutuellement. Il y a les caïds, les porte flingue du caïd, les balances, le racket, l'exploitation sexuelle etc...

Il y a un vocabulaire d'importation : la "cantine", le "parloir", mais aussi des concepts qui ne sont pas évidents pour le non initié : "faire plonger" par ex. c'est faire en sorte de faire transgresser son adversaire de façon à ce qu'il se retrouve en isolement.

Il faut bien comprendre que tout ce système pervers et régressif existe de façon latente et est déterminé, dans cette latence en tous cas, par la structure même de l'institution.

Il peut devenir patent dans des moments régressifs de l'équipe soignante ou bau contraire être maîtrisé et une situation authentiquement soignante et non plus seulement carcérale (ou de maîtrise de patient) institué à travers une action qui est non seulement intentionnelle mais aussi volontariste.

Il y faut aussi de l'énergie, du temps, du talent ou au moins de la technique et de l'expérience. On s'aperçoit alors de la fragilité du système décrit comme pervers. Au fond il est aussi labile que l'autre.

Mais finalement, qu'est ce qui, dans cette institution dont les failles sont faciles à repérer et à décrire, peut être thérapeutique? Car les statistiques (cf les travaux de Senninger à Sarreguemines) démontrent que les UMD ont une efficacité certaine ce qui est corroboré par notre expérience et par celles de nombreux services "clients".

Il n'y a pas probablement de réponse globale possible et là, il faut quitter l'ethnologie pour la clinique. C'est ce que nous allons faire pour un cas qui a fait deux aller-retour : service sectorisé/UMD : Mr. B. Saïd.

Docteur Pierre CHABRAND
Praticien Hospitalier
Centre Hospitalier
Boite Postale 92
84143-Monfavet-Cédex

Mise à jour le Mercredi, 26 Mai 2010 21:29  

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