Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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À propos d’un appartement collectif de transition

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J’évoquerai dans cet exposé, mon expérience clinique d’un hébergement thérapeutique, à travers le travail réalisé pendant 2 ans dans un appartement collectif de transition extra-hospitalier sur le secteur de Fontaines s/Saône, communément appelé dans le service, ACT.
Ce nouveau lieu d’hébergement dans le dispositif sectoriel des soins s’était ouvert en fin d’année 1997, sous la direction de l’ancien chef de service, à l’origine du projet. Je suis arrivée en novembre 1998, succédant à l’assistant alors en poste comme médecin référent d’une équipe composée de deux puis trois infirmiers, et d’une assistante sociale.
Structure d’abord sectorielle, l’ACT est devenu ensuite intersectoriel, augmentant progressivement la possibilité d’accueil à quatre patients hommes. Tous présentaient essentiellement une pathologie psychotique chronique stabilisée ayant de longues années d’hospitalisation. Durant la dernière année, aucun patient ne venait du secteur.
La capacité d’accueil de l’appartement devait encore s’accroître avec l’ouverture d’un nouvel appartement. Nous nous sommes alors arrêtés pour réfléchir en équipe, à notre travail, à sa validité thérapeutique, et évaluer les besoins d’hébergement du secteur.
Je vais maintenant essayer de vous rapporter les éléments qui ont animé notre travail à l’ACT, ainsi que les difficultés auxquelles nous avons été confrontées. Ce sont ces difficultés qui nous ont finalement décidé à fermer l’ACT dans son fonctionnement actuel en fin d’année 2000, avec l’idée d’élaborer un nouveau projet, fort de notre expérience. Dans la notion d’hébergement thérapeutique, 2 axes sont à concilier : l’habitat et le soin.
La place de l’ACT était distincte de celle des appartements thérapeutiques, structure de soin plus proche d’un modèle hospitalier par son fonctionnement et son encadrement. L’appartement se situait dans un foyer Sonacotra dont les prestations se limitaient à l’hébergement. Les patients étaient donc ici totalement indépendants sur le plan administratif de l’hôpital. Ils signaient directement ou par biais de leur tuteur un contrat locatif avec le directeur du foyer Sonacotra. Leur chambre était située dans un appartement composé de locaux communs et de 5 chambres dont 4 pour le logement et 1 aménagée en bureau pour les soignants. La signature du bail locatif inscrivait les patients comme individus dans un champ social et juridique.
Un lieu n’est pas en soi thérapeutique. Mais l’implantation d’un appartement dans un foyer Sonacotra était-elle propice à l’émergence d’un espace thérapeutique satisfaisant ? Nous proposions aux patients de s’adapter à un mode de vie, certes en dehors de l’hôpital, mais dans un lieu isolé et au milieu d’une population en grande pauvreté sociale et souvent psychique. La réalité de l’environnement n’augmentait-elle pas la précarité et l’isolement des patients ? La notion de dangerosité dans ce foyer pour les patients et pour l’équipe, même si celui-ci était réputé calme, était manifeste. Répondions-nous à la demande de protection formulée implicitement par les patients ?
Ce système proposé avait l’avantage de nous dédouaner de l’aspect matériel du logement, de permettre aux patients d’acquérir un logement individuel en leur nom propre, avec toute la prise de responsabilité et les bénéfices narcissiques que cela implique, dans un cadre supposé « protégé »... mais les moments de grande turbulence n’ont pas toujours été liés à la destructivité du processus psychotique ! Cette triangulation : le résident, le loueur, la « psy », permettait d’éviter la confusion entre bailleur et soignant, parfois notée dans les appartements de type associatif.
Que penser de 2 des patients qui ont cependant souhaité rester au foyer après la fermeture ? et dont l’un pour qui le site du foyer était rédhibitoire à l’entrée... La démarche thérapeutique à l’ACT s’inscrivait dans la continuité du soin individuel qui devait se poursuivre indépendamment et obligatoirement avec l’équipe soignante référante, ou le médecin, ayant adressé le patient. L’action thérapeutique conjointe allait permettre de favoriser l’insertion du patient dans le tissu social.
La procédure d’admission était définie précisément, jamais dans l’urgence, afin d’évaluer la demande réelle du patient, parfois maintenue au second plan derrière celle de l’équipe, ses capacités à intégrer l’appartement, et le projet à long terme. Nous avons dû résister à la pression financière de « la chambre vide », après 3 mois la location était à la charge du service, et maintenir une réflexion clinique efficace. Dans un suivi, l’acte de proposer un séjour dans un lieu défini s’inscrit comme thérapeutique. Dans une structure thérapeutique, l’acte de refuser une admission également.
L’ACT était donc un lieu où ce qui se passait était pris en compte dans un espace soignant, grâce à l’instauration d’un cadre thérapeutique. La médiation du milieu était un vecteur et moyen d’une démarche thérapeutique. Les soins s’organisaient autour d’un travail institutionnel, lié à la vie en collectivité et à l’entretien d’un espace personnel.
Le soutien pouvait être personnalisé pour aider le patient à surmonter la confrontation difficile à certaines réalités quotidiennes, en facilitant ses propres initiatives vers un projet d’insertion souvent désiré et redouté.
Le travail était aussi axé sur la reconnaissance de la relation d’altérité par l’approche d’une « vie communautaire », en animant la dimension du groupe. Les inéluctables difficultés relationnelles des patients, à vivre ensemble, aux côtés de l’autre, étaient mises à l’épreuve dans un cadre « protégé ». L’accompagnement était également important afin d’aider la personne à faire l’expérience d’autres liens, en évitant le repli sur la relation dans le groupe.
Enfin, l’appellation faisait référence à la transitionnalité, aux limites temporelles de l’avant et de l’après. La durée limitée du séjour (2 à 3 ans) permettait de travailler sur les représentations réalistes d’un certain devenir du patient. L’équipe soignante référante menait en collaboration avec le patient et notre équipe l’élaboration d’un projet ultérieur, lors de rencontres régulières. Notons que cette articulation n’a pas toujours été simple à trouver.
La position transitionnelle était aussi celle occupée par le soignant entre le patient et la réalité sociale. C’était aussi l’espace intermédiaire crée dans la relation soignante. Le travail thérapeutique était aussi de favoriser la prise de distance progressive avec l’institution intra-muros qui soigne et héberge, pouvoir envisager la séparation pour des patients dont le besoin de dépendance était fort.
Les infirmiers intervenaient de façon séquentielle, trois fois par semaine à l’ACT, pour régler la vie du groupe, les problèmes individuels, aider à d’éventuelles démarches individuelles et organiser une fois par semaine un repas groupal. La présence des infirmiers était discontinue, ce qui impliquait un minimum de capacité des patients à pouvoir se sentir seuls. Ce jeu d’alternance présence/absence permettait l’établissement dans la relation soignante d’un lien dynamique dans la perspective d’une séparation.
L’équipe se réunissait une fois par mois à l’appartement, pour une réunion avec le groupe des résidents et des entretiens individuels. Nous nous réunissions parallèlement pour mener une confrontation régulière à l’intérieur de l’équipe, des éléments rapportés par chacun, pour faire le point sur des modalités pratiques. Mais cet espace, temps de la thérapeutique essentiel, servait surtout pour parler, comprendre, penser et se décharger de ce que la psychose donne à éprouver dans la clinique de la vie quotidienne. Nous avons le sentiment d’avoir manqué de temps d’élaboration groupale, peut-être pris dans un activisme pour tenir le groupe, le projet. Nous avions parfois du mal à nous détacher de nos unités de soin respectives pour nous réunir. L’absence de temps de psychologue dans l’équipe a sans doute été également un point d’achoppement.
Pour habiter l’ACT, les patients acceptaient de signer avec l’équipe un contrat moral, qui réglementait la vie à l’intérieur des ACT, sur la vie en collectivité, et des règles plus spécifiques avec notamment l’engagement à la poursuite de la prise en charge psychiatrique personnelle en dehors. Le contrat permettait d’inscrire le patient en tant que sujet, et de nous conforter d’un support au caractère hybride, à la fois utilisé comme outil thérapeutique, et de protection, nous permettant de légitimer notre action. Nous reconnaissions au patient le droit à un espace privé tout en le maintenant dans un lien avec nous matérialisé par le contrat qui bornait aussi notre droit de regard. En cas d’absence inquiétante d’un patient, les infirmiers ont parfois fait appel au troisième protagoniste, tiers indispensable, le foyer Sonacotra qui possédait le double des clés des chambres. L’absence de respect du « contrat moral », signifiant le refus des soins aux ACT vidait de sens thérapeutique le séjour pour le réduire à l’hébergement. Mais quelle validité juridique pouvait-on accorder à ce contrat, même si effectivement une convention liait notre équipe au foyer Sonacotra ? L’ambiguïté de ce contrat nous a mis souvent en porte à faux avec les patients qui auraient justifié d’une mise à pied par exemple, ou d’autres refusant la visite des infirmiers, vécue comme une intrusion puisqu’« ils étaient chez eux ». Quelle était la limite de nos interventions ? celle de notre responsabilité ? Voici terminé le projet des ACT, dont le tableau, dans mon propos, peut apparaître bien sombre. En pratique, le passage aux ACT a été pour la plupart des patients un moment fructueux, où ils ont pu saisir un bénéfice thérapeutique, de façon différente pour chacun. Cet apport a été possible par l’énergie de l’équipe qui a fait un travail important, dans des conditions difficiles et périlleuses.
L’hébergement se situe un peu à la jonction du thérapeutique et du social. Le quotidien est utilisé comme médiation d’un rapport soignant. Pour être thérapeutique, une structure d’hébergement doit permettre au sujet souffrant de pouvoir travailler psychiquement.
Arrêter ce projet n’était-ce pas savoir rester thérapeutique, poser les limites de notre fonction soignante dans un cadre défini ?


Dr S. BOIVIN
C.H.S. Vinatier
JUIN 2001

Mise à jour le Vendredi, 28 Mai 2010 09:26  

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