Psychiatrie de Secteur à l'Hôpital Général

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Qu'est devenue la psychothérapie institutionnelle ?

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Dans mon intervention, deux enquêtes rapprochées :

La première auprès de vous pour savoir ce qui dans votre établissement survit de l'attirail de la P.I. (abrégé de psychothérapie institutionnelle). Donc, enquête de voisinage avec le questionnaire ci-joint qui va servir pour la deuxième partie : cf document en annexe à la fin de ce texte.

La deuxième enquête est nettement plus policière. On a constaté une disparition et j'ai été mandaté l'an dernier par la famille (vous) pour retrouver la trace de la belle disparue : il s'agit donc d'une recherche dans l'intérêt des familles, c'est classique et sert souvent de point de départ à maints polars. L'inspecteur, ou plutôt le commissaire, puisque l'affaire est grave, mène l'enquête : Ce pourrait être Hercule Poirot. Désolé, aujourd'hui, c'est moi. Mais le huis clos, principe majeur du genre est obtenu. Nous avons même un greffier. Tout d'abord, une enquête de voisinage avec le questionnaire remis à vous tous et qui va nous éclairer. Les indications vont nous mettre sur la voie du coupable, parce que la disparition n'est pas spontanée, mais fut provoquée. Peut-être même, le coupable se trouve-t-il parmi nous ? Il s'agit de le confondre. La parole est faite pour confondre et rend parfois confus. J'ai mon idée, et serai confus si mon hypothèse est fausse. Je serai aussi confus si elle est vraie. Suspens!

Elle a disparu, la P.I. (Petite Imprudente). Première question : avez-vous une photo ? Non, pas de photo, ou alors floues, jaunies et on ne la reconnaît pas vraiment. En revanche, nous avons la photo de ses parents, et elle leur ressemble trait pour trait.

La PI (Pitié Immédiate) est la fille de Mr Marxisme et de Melle Psychanalyse. Elle est née peu après guerre et a longtemps vécue à l'ombre de ces personnages tutélaires. Le couple s'est séparé dans les années 60, après avoir eu de nombreux enfants. Psychanalyse s'est installée en clinique et Marxisme à l'hôpital psychiatrique. Il semble bien que les enfants connus de ce couple soient restés célibataires. La Chavannerie à Lyon est vieille fille, comme Chailles, La Borde en Touraine et St Martin de Vignogoul dans le Midi. On a en revanche perdu la trace des enfants confiés à la DDASS et aux hôpitaux psychiatriques, ceux qui nous occupent plus directement aujourd'hui.

Dans le dernier projet d'établissement de mon hôpital, toute référence à P.I. (Pouvoir Improbable) a disparu. Pourtant le document est épais. Mais ce n'est pas pour autant que ce qui n'est pas écrit ne vit pas quelque part. Il existe bien des sans-papiers pour nous rappeler que l'officialisation ne vaut pas existence. La psychothérapie institutionnelle serait donc désinstituée, si l'on ose dire, parce que l'écriture est quand même preuve d'institution, comme nous le rappellent les historiens qui ne confondent pas histoire et préhistoire.

La P.I. (Paroi Incolore) serait-elle entrée en clandestinité, comme les sans-papiers cités plus haut? Parce qu'elle ne serait plus en odeur de sainteté ?

Ou bien encore s'est-elle dissoute. Dissolution à la manière d'un groupuscule gauchiste, celui où milita Félix au temps jadis, quand psychiatrie, engagement politique gauchiste et psychanalyse étaient des compagnons de route? Ou bien dissolution comme le sel dans l'eau, rendant la mer salée sans que l'on sache d'où vient ce sel, mais qui lui donne une saveur que nos premiers essais de natation fixent à jamais. Ou bien dissolution à la manière homéopathique, ne laissant qu'un effet indémontrable scientifiquement, comme dans cette histoire de la mémoire de l'eau. En tout cas, pas une dissolution claironnante à la manière d'un président avec son Assemblée Nationale introuvable.

Il n'y a pas eu d'acte brutal. Plutôt quelque chose de discret, sans un bruit ou un mot. La P.I (Patate Invalide) serait alors tombée en désuétude. Caduque, reléguée dans un placard, lui-même remisé au grenier des illusions des trente glorieuses, un peu comme ce qui faillit arriver au secteur avant que l'on ait l'idée de le rebaptiser réseau. La P.I. (Psychanalyse Interminable) aurait été l'objet d'une désaffection douce. On n'en voulait plus de ces réunions de pavillon, où les discussions de gamelles et bidons alternaient avec les numéros du maniaque de service que l'on ne saurait arrêter dans sa logorrhée sous prétexte du droit à l'expression. On n'en voulait plus de ces associations loi 1901, chargées de restaurer une place de citoyen au malade interné, qui soit s'y prenait pour Napoléon, soit ne se laissait pas prendre au jeu et passait son tour.

Depuis un an, je cherche P.I.(Parking Isotrope) et les résultats sont encourageants :

P.I. (Pastis Imbuvable) n'est plus tellement en vogue dans les services hospitaliers. On en trouve quelques bribes, comme des morceaux : une salle d'ergothérapie par ci par là, "l'assemblée générale du service", à Bourg en Bresse, dans le service où je débutais comme interne en 1975, et que rappela le chef de service lors de son départ en retraite, évoquant alors la fin d'une époque. Pas grand chose apparemment. Tout le dispositif lourd et classique a disparu : finies les réunions de pavillons, les clubs thérapeutiques en cogestion. Ainsi, la P.I. (Poireau Imperturbable) a bel et bien disparu. Corps et âme ? Corps seulement, car l'âme survit, mais ailleurs :

Dans les structures dites intermédiaires, là où la hiérarchie est moins pesante, le groupe plus petit, le médecin moins prescripteur, le séjour plus long et où l'on s'interroge encore sur la place du patient dans le corps social. Elle se porte plutôt bien dans les appartements thérapeutiques, des hôpitaux de jour, les centres d'accueil thérapeutiques, dans le travail avec des familles d'accueil, dans les foyers transitionnels et autres outils plus ou moins bricolés que l'on ne saurait énumérer .

Où en sommes nous ? Faisons le point de cette enquête : P.I (Presque Innocent) telle qu'elle n'existe plus vraiment, sauf les quatre cliniques emblématiques déjà citées. On a trouvé des restes, vivants dans les arrières cours des services de psychiatrie, pas trop à l'hôpital.

Mais, si crime il y a eu, à qui aurait-il profité ? Hypothèse extrême que l'on traitera cependant : A l'ordre : ordre gestionnaire, hiérarchie, organisation de pouvoir des uns sur les autres, ordre des statuts bien rigides et sécurisants, nosographie psychiatrique . En fait le coupable serait l'hôpital lui-même, qui aurait eu raison de la P.I. (Petite Infection), tout cet ensemble de pratiques inventées pour saper l'institution dans ses aspects aliénants et la contraindre à se refonder sans relâche. Dans cet affrontement fort banal entre le fou et le sage, ou bien entre le créateur et le fonctionnaire, entre l'utopie et la raison, le second semble bien l'avoir emporté, comme toujours. On peut s'en désoler, s'en réjouir, ou aussi s'interroger sans emportement :

L'hôpital, s'il veut vivre, devra accepter le conflit en lui. Il a besoin de cette contradiction, comme un organisme a besoin de saprophytes. Le consensus, toujours mou, conduit à l'aliénation des protagonistes envers une pensée unique.

Le développement de la psychiatrie à l'hôpital général a précipité la chute de la P.I. (Punition Injuste), en rompant le fil avec les ancêtres et en succombant aux charmes séducteurs de la technologie médicale, triomphante en ce lieu. C'est peut-être ce que voulaient nous dire nos collègues, qui , des CHS, s'inquiétaient de cette évolution.

Maintenant que nous avons retrouvé P.I. (Pensée Intermittente), il serait temps de nous interroger sur une définition. Il ne le fallait pas plus tôt, comme dans la relation clinique, qui ne doit pas être déterminée.

La Psychothérapie est souvent définie par thérapie du psychisme. Plus précis serait thérapie par le psychisme. L'Institution ne se confond plus aujourd'hui avec l'Etablissement. Instituer signifie pourtant établir durablement, mettre sur pied, fonder, organiser. Dans notre vocabulaire, on attribue une valeur symbolique à cet acte. L'établissement est entendu comme le lieu concret, dans la réalité.

Il m'apparaît alors que si la P.I.,(Pratique Infernale), c'est le traitement par l'âme de l'Institution, l'essentiel, une fois de plus ne se joue pas dans la réalité externe, mais dans notre réalité psychique, dans notre dispositif groupal, et surtout dans sa dimension inconsciente, dans sa dimension animique pour reprendre un mot ancien. Pratiquement, c'est donc à nous de la faire vivre en ne nous prenant pas pour nos photos comme disent les Québécois; en sortant de nos statuts, en fonctionnant comme sujet et pas fonctionnaire du soin, en gardant la responsabilité du soin et en ne la confiant pas aux responsables de la gestion comptable de nos établissements, en rompant avec l'illusion de la guérison par la médecine qui m'apparaît de plus en plus, au fur et à mesure de ses progrès supportés par la technique, comme une force aliénante. Il est donc possible, avec le recul de la psychanalyse et du marxisme que la P.I. (Première Invitation) est entrée en phase de latence. Comme dans les contes, la belle est endormie après avoir été prétentieuse.

Avant de conclure, quelques fragments anecdotiques, c.à.d. quelques faits et un avertissement :

  • Les deux unités plein temps du service portent le nom d'un infirmier des années 50, pionnier de l'ergothérapie dans l'hôpital. Nous garderons ce nom même quand le service sera restructuré, dans 2 ans.
  • Où en est la Psychothérapie Institutionnelle si dans nos journées, les psychiatres monopolisent la parole ? Si oui, alors elle est mal !
  • le Dr Balvet, qui travailla au Vinatier discutait souvent avec Tosquelles qui disait que "la psychanalyse était un cas particulier de la Psychothérapie Institutionnelle".
  • Le Dr Auvray, mon premier chef de service est parti à la retraite en décembre dernier. Dans son discours d'adieu, il s'est décrit comme un dinosaure et déclara, après coup, que son action de psychiatre de secteur était sous-tendue par deux buts :" l'invasion pacifique du Charolais, et le travail de sape dans l'hôpital."

Conclusion : Je vous avertis aussi que d'année en année, je répète toujours à peu près la même chose et je ne m'en aperçois qu'une fois mon travail rédigé. Je crains donc de lasser, mais, on ne se refait pas facilement. Pour changer, j'ai donc juste changé l'emballage. Cela se fait beaucoup de nos jours où la forme prime sur le fond. Mais personne n'est dupe. Cette posture est contradictoire : elle est moderne parce que c'est la mode de changer. Mais elle est aussi contestatrice , voire révolutionnaire comme le soutient Finkielkraut dans son dernier essai, puisqu'elle résiste ainsi à l'agitation contemporaine qui veut faire table rase du passé.

Dr Eric Julliand
Centre Hospitalier "le Vinatier"

ENQUÊTE :

QU'EST DEVENUE LA PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE ?

Pour introduire le débat sur le thème " Qu'est devenue la psychothérapie institutionnelle ?" , merci de répondre à ces 10 questions :

  1. Dans votre service, existe-t-il un "club thérapeutique", disposant d'un budget propre et assurant des actions sociothérapiques.
    OUI NON

  2. Dans votre hôpital, existe-t-il un "club thérapeutique", disposant d'un budget propre et assurant des actions sociothérapiques.
    OUI NON
  3. Dans votre service, avez-vous des réunions soignants-soignés, où sont abordés les questions de la vie du service ?
    OUI NON
  4. Dans votre hôpital, avez-vous des réunions soignants-soignés, où sont abordés les questions de la vie du service ?
    OUI NON
  5. Dans votre service, existe-t-il une association loi 1901, gérant des budgets de sociothérapie avec les malades?
    OUI NON
  6. Dans votre hôpital existe-t-il une association loi 1901, gérant des budgets de sociothérapie avec les malades?
    OUI NON
  7. Est-ce-qu'une ergothérapeute travaille dans votre service ?
    OUI NON
  8. Est-ce-qu'une ergothérapeute travaille dans votre hôpital ?
    OUI NON
  9. Travaillez-vous à l'Hôpital Général
    l'Hôpital Psychiatrique
    Autre
  10. Si vous avez répondu non aux questions 1 à 9, en quelle année avez vous vu pour la dernière fois, ou même participé à une réunion de pavillon, un club thérapeutique, une association loi 1901 avec les malades, rencontré l'ergothérapeute ?

Prière de me remettre le questionnaire lundi, lors de la première séance de travail. Le développement de mon intervention en dépend. D'avance merci

Eric JULLIAND

Mise à jour le Vendredi, 28 Mai 2010 09:21  

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